J’étais donc entré dans Alabama Song par la petite porte, sans autre attente que celle suscitée par un titre alléchant.

Direction Montgomery, Alabama, à la rencontre de Zelda. Une femme de tête.

Je suis la fille du Juge, la petite fille d’un sénateur et d’un gouverneur : je fume et je bois et je danse et je trafique avec qui je veux. Je suis une salamandre : je traverse les flammes sans jamais me brûler. »

Au soir de la Grande Guerre, elle fait la connaissance de Fitz, un aviateur venu des Grands Lacs, et en partance pour le Vieux Continent. Il s’est promis de devenir un écrivain célèbre. Et comme en Europe, les canons se taisent, il se consacre à son rêve, et le réalise.

Fitz et Zelda vont vivre une passion. Pas de celles qui consument les êtres en un rien de temps, non, un amour fou qui va les brûler durant trente ans.

Au fil de ma lecture, je me rends compte que Fitz est un diminutif de Fitzgerald. Tiens, tiens. Et que Zelda le nomme aussi Scott, ou Francis. Mmh. Francis Scott Fitzgerald. Il me semble avoir déjà vu ces noms et prénoms accolés. Et soudain ça fait tilt, Scott Fitzgerald ! bon sang mais c’est bien sûr : l’auteur de Gatsby le magnifique !

Voilà qui change totalement ma lecture, car savoir qu’une telle passion exista, qu'elle fut aussi littéraire que charnelle, me la rend d’autant plus incandescente.

Dans les années folles, cette amour transforme Zelda.

Pour la première fois à Manhattan, je suis une femme sexy, une bombe comme ils disent, une femme avec qui l’on sort fou de fierté et avec qui l’ont rentre fou de désir. »

Le succès de Scott passe. Le déclin s’immisce, mais la passion dure.

J’ai épousé un artiste ambitieux, me voici douze ans plus tard flanqué d’un notable ivrogne et couvert de dettes, telle la dernière des rombières. »

De la naissance de cette amour à la destruction de ses deux jouets, Gilles Leroy nous ballade dans ces vies exagérées.

Il prend des risques : il invente une partie de la vie de Zelda, il retourne parfois 20 ans en arrière, trois en en avant, six ans plus tôt en deux ou trois paragraphes. Le lecteur n’a pour seul repère que les dates, que l’auteur a inscrites dans la marge. On est parfois perdu, mais c’est presque un plaisir, comme si cette passion nous emportait un peu, nous aussi.

Et puis il y a des élans de profondeur et de sensibilité, comme ici, sur l’amitié entre hommes.

Deux hommes ne mesurent jamais la dimension physique de leur attirance l’un envers l’autre. Ils l’enfouissent sous les mots, sous des concepts sentimentaux tels que la fidélité, l’héroïsme ou le don de soi. »

L’utilisation de personnages célèbres n’est pas un prétexte pour faire un roman facile ou étaler une culture. Non, ici c'est un tremplin pour une vraie création, originale, profonde et très bien écrite.


Alabama Song



Alabama Song, Gilles Leroy, Mercure de France, 192 pages, 15 euros.