Je venais de lire Zoli, le dernier roman de l'auteur irlandais Colum Mc Cann dont la générosité m'avait séduit. Et un bienfaiteur, généreux a lu ces lignes et donné le coup de baguette magique. Du coup, j'ai bu non pas une bière, mais DEUX avec Colum Mc Cann au café "Le métro" dans le XIIème arrondissement de Paris, en face de la librairie Atout Livre, où il se produisait. Je vous livre cette interview d'une durée de deux Kronenbourg (j'ai bu lentement), avec bruits de bistro et autres extraits sonores pour parfaire votre irlandais. Merci Christian, merci Brigitte, thanks a lot Colum Mc Cann for this four-star evening.




Un J’ai été impressionné par le caractère équilibré de Zoli. Elle n’est ni trop bonne, ni trop mauvaise, ni trop courageuse, ni trop lâche. L’avez-vous voulue comme cela ?
 

J'ai eu du mal à la capurer ! J’ai travaillé comme un forcené pour essayer de capter sa voix. Puis je suis arrivé à parler d’elle à la troisième personne, mais je n'arrivais pas à entendre sa voix. Ce n'est pas faute d'avoir essayé ! Et après deux ans et demi dans ce projet, j'ai dit à ma femme : « Je ne peux plus. Elle n’est pas là, elle ne viendra pas vers moi. Elle m'a quitté. » Alors j’ai laissé tomber le roman. Je me suis dit OK, c’est foutu. J’étais vraiment abattu. Pendant environ deux semaines, je me suis dit : je viens de gaspiller deux ans et demi de ma vie. Puis soudain, elle est venue. C’est un peu comme si j’avais dû vivre ce deuil pour la retrouver. Et aujourd’hui, c’est un de seuls personnages que j’ai créés qui ne me quitte plus. C'est étrange.

 



Deux Pour créer ce personnage, qui a existé, avez-vous tiré votre inspiration de livres ou l’avez-vous inventée totalement ?

 

Je l’ai inventée totalement. Et c’est cela que j’aime dans la littérature. C’est la capacité qu’on a à comprendre qui sont les gens, quelle est leur culture. Et tout cela à travers un mensonge, non, je vais plutôt dire à travers la création, car ce n’est pas vraiment un mensonge. C’est une forme de mensonge, mais c’est aussi la vérité.




Trois Durant la seconde partie du roman, j’ai eu l’impression que vous ne parveniez pas à vous défaire de Zoli, que vous étiez attaché à elle. L’histoire s’éternisait un peu et je me suis dit : « Peut-être qu’il l’aime, et qu’il ne veut pas la quitter. »

C’est marrant que vous disiez cela. Parce que dans « Danseur », je n’ai eu aucune difficulté à quitter Noureev. Ici c’était vraiment difficile de quitter Zoli. En un sens, oui, je suis tombé amoureux d’elle. Etrangement, je pense qu’elle est une partie de moi et que je ne peux pas la perdre. C’est pour moi une manière très dignifiée de vivre une relation avec la littérature. Et parfois, j’avais horreur de ce qui lui arrivait. Je me disais : « Non, non, ne provoque pas cela ! » C’est pour cela que le moment de joie de la fin est important. C’est une promesse d’espoir, de changement.




Quatre J’ai lu que vous aviez été journaliste à vous débuts. C’est important pour vous de voir ceux que vous décrivez et leur environnement ?

 

Oui, c’est vital. j’ai besoin d’être dans le monde réel, mais aussi dans le monde imaginaire. Je ne vois pas de très grande différence entre le journaliste et la personne qui écrit des fictions, des essais, des poèmes, des pièces de théâtre ou des films. Au fond, tout ce monde écrit une histoire. En fait, tout ce que nous faisons, c’est parler de la nature humaine. Pour moi, la forme que cela prend importe peu aussi longtemps qu’on dit quelque chose de beau, de profond, ou qu’on le dit joliment. J’ai les mêmes sensations que quand j’étais journaliste. Quand je faisais ce métier, certes, l’écriture était plus brève, mais j’essayais d’être honnête, j’essayais d’être prudent.




Cinq Quand vous écrivez, pensez-vous en permanence au lecteur, ou êtes-vous indépendant de lui ? Est-ce que vous vous dites : « Si j’ écris cela, il ne va pas aimer » ?
 

En fait, j’écris les livres que je voudrais lire. Donc, en un sens, je suis le seul lecteur. Puis ma femme lit, et elle me dit ce qu’elle pense. Elle me dit ceci est bon, ou pas, ne tue pas ce personnage. Je réfléchis, puis le livre est donné au lecteur. Et il y a des moments fabuleux. Hier soir, je suis allé signer mon livre dans une librairie, et une dame ma dit « Merci d’écrire ». C’est tellement fabuleux ! J'ai vraiment de la chance. Je me sens privilégié, et cela me donne envie de travailler encore plus dur, pour ne jamais tomber dans la facilité.




Six Vous avez dit : « Chaque livre est un échec. » Pourquoi ?


 

Parce qu’il n’est jamais aussi bon qu’au moment précis où vous l’avez imaginé. Quand vous vous installez pour commencer à écrire, vous devez-vous battre avec la conception rêvée que vous avez eue. Vous vous dites ! « Je ne vais pas y arriver », et vous vous battez et vous allez le plus loin possible. Et même si vous êtes suffisamment ambitieux, vous finissez toujours par épuiser cette ambition. Après cela, recueillir un gramme de sympathie, c’est plus encourageant que de recevoir une tonne de critiques !




Sept Ce n’est pas plus difficile d’écrire quand on est célèbre ? Le jugement des autres ne vous fait pas plus peur que jadis ?

En fait, c’est toujours plus difficile. On croit parfois que cela devient plus facile. Mais à chaque fois que je termine un livre, je suis terrifié de ne plus pouvoir arriver à en écrire un autre. D’ailleurs je crois que l’un des thèmes de « Zoli », c’est la fascination devant les choses difficiles. Et honnêtement, je vais vous dire une chose : c’est le livre le plus difficile que j’aie jamais écrit. C’est vrai que le style est simple, mais la difficulté est née des questions auxquelles j’ai été confronté, des recherches que j’ai effectuées pour essayer de comprendre, et puis la façon dont elle m’a quittée (voir question 1)…




Huit Votre écriture, vous l’évoquez, est simple, sans effets spéciaux, vous l’avez fait exprès ?

Oui, oui, absolument, c’est important ce que vous dites. Dans ce que j’ai écrit dans le passé, j’ai utilisé des effets pyrotechniques. Par exemple, dans « Danseur », il y a un passage de 40 pages sans un point. Dans « Danseur » je n’ai pas voulu faire de la surenchère, j’ai voulu refléter l’époque et l’esprit, tandis que dans « Zoli », j’ai voulu raconter l’histoire d’une manière très simple. J’ai écrit pour que les gens comprennent, mais sans en dire trop. Parce que je n’ai pas de réponses. Je ne suis pas là pour cela. Les politiciens et les historiens sont là pour cela. Les écrivains sont là pour poser des questions sérieuses que les lecteurs peuvent s’approprier.




Neuf Avez-vous écrit ce livre pour changer un peu le destin des Roms ?


C’est une bonne question. On ne me l’a jamais posée, en fait. En fait, non. J’ai écrit ce roman parce que j’ai été fasciné par une femme et par une personne, une culture. Mais plus je suis rentré dedans, plus j’ai compris à quel point l’histoire de ce peuple était importante. Et ce n’est pas nécessairement une bonne chose pour un écrivain, que de trop porter sur ses épaules, car il devient sentimental, ou se sent investi d’une mission. Je n’ai pas voulu cela, mais plus j’avançais, plus je me sentais responsable de cette culture. C’est aux Roms et pas à moi à dire si j’ai fait cela correctement ou pas, mais à ce stade, la réaction des intellectuels roms a été vraiment excellente.





Dix Quel(s) conseil(s) donneriez-vous aux lecteurs du blog rêvant de devenir écrivain ?

Ayez de l’endurance. Je ne crois pas au blocage de l’écrivain. Ce qu’il faut, c’est du désir, de l’endurance. Ce sont les deux choses les plus importantes. Je donne des cours d’écriture. Et je ne peux pas apprendre à quelqu’un à écrire une phrase, mais d'une manière assez étrange, je peux enseigner le désir. Jusqu'où es-tu prêt à vouloir ? Jusqu'où es-tu prêt à te battre, à faire des sacrifices pour raconter ton histoire ? Et je vois beaucoup de bons écrivains qui ne survivent pas parce qu’ils n’ont pas suffisamment la volonté de se battre. Ce que je dirais aussi à ceux qui veulent écrire, c’est : lisez, lisez, lisez !, rentrez dans une librairie, soyez furieux et dites : « Mais comment est-ce possible que cette merde soit publiée et que je ne le sois pas ? » Soyez jaloux, pas parce que les autres écrivent trop bien, mais parce que vous pouvez faire mieux !