Hélas, très vite, votre interlocuteur vous ennuie. Alors vous l'écoutez d'une oreille, tandis que l'autre vibre au son des éclats de rires et de voix de la tablée voisine, où vous rêvez de vous asseoir.

C'est le sentiment qui m'habite en sortant du « Café de la jeunesse perdue ». Les lieux décrits ont l'air plein de vie et d'ambiances, mais mon interlocuteur, Patrick Modiano, m'a endormi.

L'auteur met en scène trois narrateurs successifs, qui ont en commun d'avoir fréquenté au même moment le Condé, un café parisien du carrefour de l'Odéon.

Cette clientèle, un passant qui aurait jeté un regard furtif de l'extérieur l'aurait prise pour une simple clientèle d'étudiants. Mais il aurait bientôt changé d'avis en remarquant la quantité d'alcool que l'on buvait. Dans les paisibles cafés du quartier latin, on n'aurait jamais bu comme ça. »

Ces mots sont du premier narrateur, un client un peu effacé, qui raconte comment un soir, une jeune femme que personne ne connaît, s'est installée seule à table. Le café va l'adopter, et la baptiser Louki.

Mais qui est Louki, quel est son vrai nom ? Roland, le deuxième narrateur, un client apparu quelques jours après la jeune femme, le sait. Le mari de Louki, alias Jacqueline, l'a mandaté pour lui ramener sa femme, disparue sans laisser de trace.

C'est Louki qui prend ensuite la parole. On comprend que son mari a peu de chance de la retrouver.

A chaque fois que je coupe les ponts avec quelqu'un, je ressens la même ivresse. Je ne suis vraiment moi-même qu'à l'instant où je m'enfuis. »

Le détective ramènera-t-il Louki à bon port ? Je m'arrête ici, surtout que cette intrigue mollassonne n'est que prétexte pour ressusciter le Paris perdu d'une jeunesse qui n'avait pour repère qu'un café.

Dans cette vie qui vous apparaît quelquefois comme un grand terrain vague sans poteau indicateur, au milieu de toutes les lignes de fuite et les horizons perdus, on aimerait trouver des points de repère. Alors, on tisse des liens, on essaye de rendre plus stables des rencontres hasardeuses. »

Mais je suis déçu. J'aurais voulu vivre ce roman nostalgique comme un soirée inoubliable. J'aurais voulu m'enivrer et refaire le monde à une table du Condé. J'aurais voulu arpenter ces « zones neutres » parisiennes, ces rues qui n'ont d'autre ambition que de déboucher sur les passerelles du métro. Le temps d'un roman, j'aurais voulu aimer Louki, lui parler de livres, la laisser revenir et fuir. Mais je n'ai pas senti le zinc, l'odeur du tabac, l'amitié qui monte avec l'alcool, les détresses d'un amour illusoire et l'humidité des rues obscures qui vous glace sous la veste.

Non, je n'ai rien senti.

Ce café de la jeunesse est bel et bien perdu, et même Modiano ne l'a pas retrouvé.

Dans le céfé de la jeunesse perdue



Dans le café de la jeunesse perdue, Patrick Modiano, 149 pages, 14,50 euros.