De ces libertés, certains font un usage immodéré. C’est le cas d’Arto Paasilinna. Dans « Le bestial serviteur du pasteur Huuskonen », l'auteur finlandais conte la vie d’un truculent pasteur protestant. Un homme qui prêche comme ceci :

Le diable rôde parmi nous tel un lion rugissant. Mais quand Dieu lui cingle l’échine de son fouet, il y a du poil qui vole et la Malin chie dans son froc. »

Comme si la vie de l’ecclésiastique n’était pas assez agitée, ses paroissiens se piquent de lui offrir pour son anniversaire un ourson orphelin. Réaction de la femme du pasteur :

Par les cornes de Belzeb… »

Et de ce jour, on appela l’ourson Belzeb.

L’ecclésiastique, qui n’attendait qu’un divertissement pour échapper aux remontrances perpétuelles de son épouse, se passionne pour son ami à poil. Les deux bipèdes vont se lier d’une solide amitié, qui n’amuse ni la femme du pasteur, qui le quitte pour un général de l’armée, ni pour l’église, qui l’exclut.

Voici donc nos deux camarades jetés sur les routes. Ils vont entamer un long périple en Laponie, puis en Russie, avant d’entamer une croisière en Méditerranée. Durant ce voyage, le curé et le pestoun s’adonneront au javelot ascensionnel, écouteront les messages radios d’extra-terrestres, goûteront aux plaisirs de la chair, transformeront en pugilat un paisible colloque œcuménique, et j’en passe.

Ce roman est un petit délice. Le lecteur est soulevé par l’énergie des premières pages, emporté par une écriture admirable, toute en finesse et simplicité. C’est un roman à la Brassens, où l’homme est généreux, libertaire, anticlérical, content de son sort, un peu naïf, un peu poète et franchement misogyne, faute de comprendre les femmes.

C’est aussi un joyeux précis d’amitié masculine.

Laissez-vous prendre dans les bras de ce gros animal, et entraîner dans le monde merveilleux du grotesque.

Pour terminer, je ne résiste pas à l’envie de vous livrer l’extrait où le pasteur est convoqué chez l’évêque.

Pour l’évêque, il était inconvenant qu’un ecclésiastique se promène avec un ours. C’était trop original. Un prêtre doit être quelconque, de préférence un peu plus banal que la moyenne, même, c’est la meilleure façon de diffuser la bonne parole.

« C’est comme cela aussi à la télévision, dit l’évêque. Plus les émissions sont idiotes, plus elles font de l’audience. L’Eglise doit vivre avec son temps et abaisser d’un bon cran le niveau intellectuel de son message.

- Ca ne devrait pas, mon cher évêque, te demander d’efforts insurmontables.

L’atmosphère était tendue, l’ours le sentait.

Le bestial serviteur du pasteur Huuskonen



Le bestial serviteur du pasteur Huuskonen, d'Arto Paasilinna, Denoël, 307 pages, 20 euros.