Tout commence aux dernières heures de la Grande Guerre. Alors que plus rien ne l’y oblige, le crapuleux lieutenant Pradelle envoie ses hommes à la mort, histoire de remporter une victoire de fin de conflit qui lui vaudra les honneurs. Le malheureux Albert comprend le stratagème, et le paye au prix fort. Pradelle le pousse dans un cratère, Albert tente de s’en extraire, un obus explose à proximité et…

Dans un formidable craquement, la nappe de terre s’abat sur lui. On aurait pu s’attendre à un choc qui l’aurait tué tout net, Albert serait mort voilà tout. Ce qui se passe est pire. Les cailloux et les pierres continuent de lui tomber dessus en grêle puis la terre arrive, d’abord couvrante et de plus en plus lourde. Le corps d’Albert est collé au sol. »

Enseveli, Albert entame son agonie, mais Edouard, un soldat de 24 ans, a assisté à la scène et sauve Albert. Mal lui en prend.

C’est alors qu’arrive à sa rencontre un éclat d’obus gros comme une assiette à soupe. Assez épais, une vitesse vertigineuse. »

Edouard se trouve dans état critique, le mot est faible.

L’éclat d’obus lui a emporté toute la mâchoire inférieure ; en-dessous du nez tout est vide, on voit la gorge, la voûte, le palais et seulement les dents du haut, et en-dessous, un magma de chairs écarlates avec au fond quelque chose, ça doit être la glotte, plus de langue, la trachée fait un trou rouge humide. »

Albert est indemne. Edouard pas du tout. Les hommes sont liés par le destin.

Après la guerre, le premier enchaîne les petits boulots pour payer la morphine du second. Ils s’installent ensemble. Edouard reprend quelques activités de dessin, mais a aussi perdu son talent.

De son côté le lieutenant Pradelle est prospère. Il a monté un petit business fructueux : donner une sépulture digne de ce nom à tous ces morts enterrés à la va-vite sur les champs de bataille. Les familles sont prêtes à délier le portefeuille pour ce noble dessein. Au plus grand bénéfice de Pradelle.

A quatre-vingts francs le cadavre et avec un prix de revient réel aux alentours de vingt-cinq, Pradelle espérait un bénéfice de deux millions et demi. »

Nos deux lascars, quant à eux, se morfondent. Les besoins en substances d’Edouard croissent sans discontinuer. Et ce dernier finit, lui aussi, par attraper le sens des affaires (louches). L’idée : lancer des souscriptions pour des monuments aux morts, demander un acompte, et disparaître dans la nature. Edouard y croit dur comme fer.

30.000 monuments, X 10.000 francs = 300 millions de francs. »

Et pendant ce temps Pradelle pousse son bénéfice en enterrant un peu plus de cercueils qu’il y a de morts et autres arnaques aussi grossières que lucratives.

Et dans le petit monde du business d’après-guerre, les chemins de nos trois hommes pourraient parfaitement se recroiser…

Les deux poilus auront-ils leur vengeance sur le respectable lieutenant ? Leurs business demeurera-t-il profitable ? Je vous le laisse découvrir.

Au revoir là-haut est un roman délicieux. L’auteur a eu le culot d’aborder un thème délicat sur un ton aussi cru et sarcastique que cynique et désopilant. Les personnages sont entêtés et crédibles, les arnaques multiples et délicieuses. Et le narrateur n’omet pas les histoires d’amour et de famille qui donnent à ce livre une intensité dont il n’avait même pas besoin.

Les boulons sont serrés, l’écriture propre et directe.

Et tout cela avec une compassion détachée pour ses personnages. Un vrai talent. Un vrai régal.

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Au revoir là-haut, Pierre Lemaître, littérature française, Albin Michel, 567 pages, 22,5 euros, ou en poche. ISBN : 2253194611. Notre note : 5/5.