Eric Reinhardt est écrivain. Il reçoit un jour une lettre d’une de ses lectrices. Une missive presque anodine, mais dans laquelle il décèle une souffrance.

D’abord un peu précautionneuse, cette lettre était, à mesure qu’elle progressait, de plus en plus féroce et mécontente. »

L’auteure de la lettre, c’est Bénédicte Ombredanne, que l’auteur nommera par ses noms et prénoms accolés tout au long du récit. Elle est professeur de français dans un lycée public de Metz. Eric Reinhardt la rencontre et elle glisse, à cette occasion, de nouveaux indices diffus de sa souffrance.

Elle est restée silencieuse sur ce qui la poussait à qualifier son existence de délabrée, à désigner sa personne comme un objet mis au rebut, à se décrire comme une jeune femme abandonnée. »

L’auteur change alors radicalement de mode de récit. De témoin, il se fait narrateur et décrit le calvaire de Bénédicte, harcelée par son mari.

Son mari lui gâchait les plus belles années de son existence, elle n'avait encore que trente-six ans, un âge auquel il est impardonnable de se priver des plaisirs, des jouissances, des richesses et des gratifications qu'on est en droit d'attendre de la réalité quand on est une femme sensible, intelligente et cultivée. »

Résolue à goûter à l’indépendance, Bénédicte part à la recherche déterminée d’un amour pur, intense et secret : elle le trouve sur internet. Il s'appelle Christian.

Mais comment est-il possible de se sentir aussi bien et dans une telle harmonie de sensibilités, avec quelqu'un qu'on vient tout juste de rencontrer ? »

Mais elle prend bien peu de précautions pour s’en cacher, et les soupçons qu’elle déclenche chez son mari ne font que renforcer ses pulsions agressives. Il lui fait des scènes insoutenables, de jour comme de nuit.

Qu’est-ce que tu fais, pourquoi tu mets tes mains sur ton visage, tu as peur que je te frappe ? Oui, c’est ça ? Tu t’imagines que je suis assez primaire pour te frapper au visage ? »

Puis l’auteur, qui s’étonne de ne plus avoir de nouvelles de Bénédicte Ombredanne change une troisième fois de mode de narration et raconte son enquête pour connaître le destin de sa lectrice.

Cette histoire de harcèlement, bien que d’une désolante actualité, n’est sans doute pas le point fort de ce roman. Ce qui touche, ce qui séduit, c’est la manière distante et sans jugement avec laquelle l’auteur livre son récit, sans condamnation, ou si peu, du harceleur.

Cette distance permet au lecteur de percevoir les ressorts intimes des comportements de domination et de soumission et les liens diaboliquement indéfectibles qu'ils peuvent créer entre deux êtres en souffrance.

Le roman s’est voulu esthétique, phrases travaillées, changements subtils de modes de narration. C’est une politesse de plume mais elle n'est hélas pas exempte d’excès de verbe. Un écueil qui n'enlève rien à la profondeur de ce roman très réussi.

Du même auteur : Le système Victoria.

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L'amour et les forêts, Eric Reinhardt, littérature française, Gallimard, 366 pages, 21,9 euros. ISBN : 2070468151. Notre note : 4/5.