David Kolski ne sait pas dans quel système il met le pied, quand il fait la cour à Victoria de Winter, dans une galerie commerçante. Généralement, il est pourtant prudent dans ses écarts conjugaux.

Mais avec elle, il s’engage un peu plus loin. Leurs univers semblent pourtant opposés. Il est directeur de chantier sur la tour Uranus, en construction à la Défense, à Paris. Elle est DRH Monde d’une grande multinationale à capitaux américains. Son métier à lui : construire. A elle : restructurer, délocaliser, vite, vite. Deux univers.

Elle avait fini par me demander « Et toi combien tu gagnes ?

- 5.500 euros brut par mois sur quatorze mois.

- Hein ? Quoi ? 5.500 euros par mois ?

- Ce qui fait environ…

- Tu ne gagnes que 5.500 euros par mois !

- Je suis d’accord avec toi. Ce qui est drôle c’est que souvent, quand je donne mon salaire, j’ai honte : soit parce qu’i est trop élevé, soit parce qu’il est trop bas. »

Et pourtant, Victoria déstabilise David. Dans ses sentiments, et dans ses idéaux. Il y a des jours où il la déteste.

On est en train de boire du Champagne rosé dans une chambre de l’hôtel du Louvre, mais en même temps, demain, l’une de tes subordonnées va refuser à une secrétaire une augmentation de 150 euros par mois. »

D’autres où elle n’est pas loin de le convaincre.

Je te l’avais bien dit qu’à mon contact tu deviendrais libéral. Tu le vois bien que c’est idiot, aujourd’hui, et complètement arriéré, d’être un homme de gauche ! De rester figé dans des principes hyper rigides, qui datent de Mathusalem ! »

Leur amour les conduira tous deux à la perdition, car elle ne conçoit la passion que dans la vitesse et l’aveuglement. Et il la suit, aveuglément.

« Le système Victoria » est un beau roman d’amour. Il est cru, c’est vrai, dans sa vision du monde comme dans la description des nombreuses scènes d’amour.

Mais il est fin. Eric Reinhardt se garde bien de prendre position, mais au travers de quelques tirades, on sent la critique du capitalisme ambiant.

Si ceux qui dirigent le monde n’étaient pas dans la vitesse, qu’elle soit géographique ou simplement mentale, la vérité de ce qu’ils font leur apparaîtrait d’une manière stridente : elle leur serait insupportable. »

On reprochera peut-être à ce roman très travaillé une certaine froideur, un côté désincarné. Mais il ne rate pas son objectif : la quasi-absence de jugement de l’auteur amène le lecteur à réfléchir lui-même, non sur le système Victoria, mais sur le système tout court.

Serez-vous tentés par les sirènes du néo-libéralisme ? Le héros du roman vous le dira : « Prenez garde ! »

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Le système Victoria, Eric Reinhardt, littérature française, Stock, 522 pages, 22,5 euros. Notre note : 3/5.






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