Tel est le destin d’Edouard Limonov, pour qui Emmanuel Carrère a tant de sympathie qu’il lui consacre un récit haletant et soigné.
L’histoire débute dans les années 50, au cœur d’une sordide ville de province. Ca commence fort : Limonov a pour berceau une caisse à obus. Il grandit, devient poète, s’ennuie à mourir, part à Moscou puis s’envole à New York.
Mais le rêve américain n’est pas pour lui. Avec quelques compatriotes désœuvrés, il vivote.
A Moscou ou Leningrad, ils étaient poètes, peintres, musiciens. A New York, ils sont plongeurs, peintres en bâtiment, déménageurs. Alors, toujours entre eux, toujours en russe, ils se saoulent, se lamentent, parlent du pays, rêvent qu’on les y laisse retourner, mais on ne les laissera pas y retourner : ils mourront piégés et floués »
Limonov devient SDF, sombre, et couche sa vie sur papier.
Il écrit sans se soucier de littérature, comme ça lui vient, il sait que c’est en train de devenir un livre et que ce livre est sa seule chance de s’en sortir. »
Au fil des rencontres, il devient majordome d’un milliardaire et s’en sort, son livre est miraculeusement publié à Paris.
Je ne vous conte pas la suite, du même tonneau : excès, forfanterie, périodes de gloire, puis d’obscurité, bagarres au couteau et tentatives de suicides, avec un fil conducteur, pour lequel je ne trouve qu’un mot : Limonov est rock’n roll.
Mais l’intelligence de Carrère ne se manifeste pas seulement dans l’art de raconter le destin de ce « bon client » pour la littérature, non. A travers Limonov, on approche de la fameuse âme russe, on parcourt un demi-siècle d’histoire par les chemins buissonniers, et surtout, on vit la Russie vue de Russie, et non des médias d’ici.
Comme quand ses personnages évoquent l’après communisme.
La vérité, c’est qu’on est dans un pays du tiers-monde : la Haute-Volta avec des missiles nucléaires. »
Ou Gorbatchev.
Il ne libérait rien du tout, se laissait seulement prendre au mot, forcer la main et freinait autant qu’il pouvait un processus qu’il avait déclenché par imprudence. C’était à la fois un apprenti sorcier, un démagogue et un plouc. »
On reprochera peut-être au roman une certaine complaisance à l’égard d’un être controversé, on y verra peut-être un essai sans vraie construction romanesque.
Mais Emmanuel Carrère livre à nouveau un récit cru et sans concessions, ce qui le rend d’autant plus riche et profondément humain. N’est-ce pas l’auteur lui-même qui assène cette certitude qui lui va si bien :
Dès qu’un homme a le courage de la dire, personne ne peut plus rien contre la vérité. »
Limonov, Emmanuel Carrère, POL, littérature française, 488 pages, 19 euros. Notre note : 4/5.
Du même auteur : Un roman russe
Critiques, avis et analyses
J'ai lu et... bof, c'est un peu un essai, un livre d'histoire, mais je trouve que ça manque de sentiments :-) Une belle évocation, mais pas ma lecture préférée...
C'est vrai Eva, on peut le voir comme ça. Moi je l'ai vu comme un livre presque journalistique, où on m'explique la Russie de manière très amusante, aussi amusante que ce personnage un peu fou.
J'ai aimé. Ce n'est pas le Carrère qui parle de lui (quoique un peu), mais quelle aventure ! Et Carrère est à l'aise dans tous les styles, il prouve qu'il est un grand !
En effet, Alain-Pierre, ce roman est tout à fait différent des précédents, à ceci près qu'il se base sur des faits réels (un personnage, ici), comme c'était le cas de ses précédents romans, si je ne me trompe...
Je l'ai lu et apprécié. C'est fabuleux de pouvoir raconter l'Histoire à travers un personnage si coloré, c'est ça qui maintient en haleine, ce que ne permettrait pas un livre d'histoire...
Je te suis entièrement Pascal. Une belle histoire, une histoire vraie (enfin presque, je pense qu'il a comblé quelques vides :-))
voila plus d'une heure que je surfe sur votre blog tant je le trouve interessant : vos critiques sont construites et vos commentaires enrichissants (je me trouve souvent en accord avec vous) et justement je viens de terminer "un roman russe" d'E Carrère. j'hésitais à enchainer avec Limonov car l'auteur m'a pour le moins déconcertée : quel personnage/auteur centré sur lui même!!et pourtant, je dois le reconnaitre il en ressort un roman que je ne suis pas prête d'oublier. Mais revenons à Limonov : vous m'avez convaincue, je vais le lire. Passé ma désagréble impression sur l'auteur je suis persuadée que c'est un grand écrivain.
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