Les hommes aussi. Mais leurs légendes et bobards sont d’une toute autre essence. Voilà le postulat de Ludmila Oulitskaïa (quel nom magnifique). Elle annonce ce scoop, sans prévenir, dès les premières lignes de « Mensonges de femmes », son huitième roman traduit en français.

Peut-on comparer le bon gros mensonge masculin, stratégique, architecturé, aussi ancien que la réponse de Caïn, avec ces charmants petits mensonges de femmes dans lesquels on ne décèle aucune intention bonne ou mauvaise, ni même aucun espoir de profit ? »

Troublant.

Et en plus, elle le prouve. En nous contant le destin de cinq menteuses.

Celui d’Irène, par exemple, qui fait croire à Génia, rencontrée pendant les vacances, qu’elle a épousé un grand compositeur dont elle a eu quatre enfants, qu’elle a perdus lors de trois accidents. De quoi bouleverser son interlocutrice.

Comme ma vie est stupide ! On peut même dire que ce n’est pas une vie du tout… J’ai cessé d’en aimer un, je suis tombé amoureuse d’un autre… Vous parlez d’un drame. Pauvre Irène… Perdre quatre enfants… »

Et puis il y l’histoire de l’humiliation d’Anna, dont l'amie, Macha, s'est fait passer auprès d'elle pour une grande poétesse. Un jour, Anna, si fière de son amie, récite l’un des poèmes de Macha dans une assemblée de jeunes intellectuels. Et il se passe ceci.

Elle sentit que quelque chose clochait. Elle s’arrêta et leva les yeux. Quelqu’un riait sous cape. Un autre chuchotait avec son voisin d’un air perplexe. D’une façon générale, il y avait un véritable malaise, et la pause durait trop longtemps. »

Pour une raison très simple : le poème n’était pas de Macha, mais du célèbre Maximilien Voliochine.

Les autres mensonges, tout aussi fins, sont distillés par des prostituées russes à Genève, par des enfants, et par une adolescente de 13 ans, qui s’invente une idylle avec un homme de trente ans son aîné.

Ce petit traité du mensonge ordinaire est délicieux. L’auteur espiègle. On aperçoit la Russie d’aujourd’hui, beaucoup plus raffinée que celle que les médias nous imposent.

On se régale aussi de quelques excès de langage et exagérations, qui nous rapprochent sans doute de cette insaisissable âme russe. Le tout servi sur une écriture aussi délicate que du caviar de la Caspienne.

On reçoit enfin quelques vérités sur les rapports entre les hommes et les femmes d’aujourd’hui. Comme ici.

Un fer à repasser caresse quand on en a besoin, tandis qu’un homme caresse quand il en a besoin, lui ! »

Il me reste une question existentielle après lecture de ce très beau livre. Et si c’était Ludmila Oulitskaïa, la menteuse ?

Mensonges de femmes



Mensonges de femmes, Ludmila Oulitskaïa, Gallimard, 188 pages, 16,5 euros.