Un mot d’abord, sur cette nouvelle et formidable collection d’Actes Sud baptisée Actes Noirs. L’originalité de l’entreprise réside dans le fait que ce sont des romans (très) noirs en provenance de pays dont on connaît peu la littérature noire comme le Botswana, le Brésil, la Turquie ou la Suède avec la haletante trilogie Millenium.

Avec « Derniers verres », le lecteur se trouve plongé dans un bled australien (l’auteur est originaire du pays des kangourous) du Queensland où vit George, un alcoolique repenti et journaliste dans le petit journal local. Lorsqu’il apprend la mort atroce de son ancien meilleur ami, notre sombre héros va être confronté à son propre passé. Un passé trouble et vénéneux qu’il a mis dix ans à enterrer. Ou du moins, à tenter d’enfouir. Un passé où magouilles, bitures, corruption, putes, trafics d’influences, amour et trahison ont fait bon ménage.

Plus qu’un roman noir (c’en est un parce qu’il y a meurtre et une intrigue solidement ficelée), « Derniers verres » est surtout l’histoire d’un homme confronté, nous le disions, à son propre passé mais surtout à ses propres démons, dont l’alcool. C’est comme si Andrew Mc Gahan s’était servi des codes du thriller pour explorer les tourments de l’âme humaine. Très bien écrit, le style est sobre mais intense, épuré mais dense. On peine pour ce pauvre George et ses cicatrices internes.

« Derniers verres » rappelle aussi certains bouquins de Jim Thompson, de John Fante ou même de James Crumley. Des histoires sombres, hantées et désespérées mais profondément humaines. Ce qui rend le propos encore plus bouleversant.

Extrait d'ambiance.

Dans ma chambre, il faisait froid et noir, mais je n’avais pas bu un verre d’alcool depuis des années et j’étais parfaitement à jeun. “Quoi ? ai-je dit dans le téléphone.

— George ? C’est Graham. Désolé pour l’heure.”

J’ai jeté un coup d’œil à la table de chevet en cherchant le réveil digital. Il aurait dû briller dans la nuit, mais il n’y avait rien. J’ai tendu la main vers la lampe.

“Pourquoi ? Il est quelle heure ?

— Presque cinq heures. Ecoutez, il faut que vous veniez ici.”

J’ai appuyé sur l’interrupteur de la lampe, mais en vain là aussi. “Hé, Graham, vous avez de la lumière, chez vous ? Personne n’a de lumière. Ça fait partie du problème.

— De quel problème ?

— Hmmm… Ecoutez, on a besoin de vous, ici. Vite, d’accord ? Au poste.”

Graham était le lieutenant de police de Highwood. Quant à Highwood, c’était une petite ville de montagne sur la frontière séparant le Queensland de la Nouvelle-Galles-du-Sud, et c’était aussi mon refuge depuis dix ans. Je me suis redressé sur le lit.

— Dépêchez-vous de venir, George. On a besoin de vous pour identifier quelqu’un.”

Puis il y a eu le déclic du téléphone qu’il avait raccroché.

Derniers verres




Derniers verres, Andrew McGahan, littérature australienne, Actes Sud/Actes Noir, 380 pages, 23,5 euros. Notre note : 4/5.