J’ai eu cette impression en lisant American Darling, de Russell Banks. Cette œuvre, donc, raconte l’histoire tortueuse d’Hannah Musgrave. Au moment où elle se livre à nous, cette Américaine a 59 ans. Elle vit retranchée dans sa ferme des montagnes Adirondacks, dans le Nord des Etats-Unis. Elle a acquis cette ferme pour se poser, enfin.
Car sa vie fut rock’n roll. Petite bourgeoise américaine, elle vit très mal cette identité. Alors elle s’acoquine avec les Weathermen, des révolutionnaires, opposant très actifs à la guerre du Viet-Nam. Sa spécialité : trouver des faux papiers à ceux qui se proposent de commettre l’un ou l’autre action visant à déstabiliser l’état américain.
Du coup, le FBI est à ses trousses. Elle part pour l’Afrique.
Elle se retrouve au Liberia, où elle épouse un notable local, Woodrow Sundiata. Hannah dirige désormais une clinique pour chimpanzés, des animaux qu’elle aime comme ses enfants, parce qu’elle leur a sauvé la vie. Quand elle a débarqué au Libéria, ils vivaient comme ceci :
Mes yeux se sont un peu habitués à l’obscurité. Il y en avait qui étaient encore enfants, allongés dans un coin de leur cage. D’autres, qui disposaient de juste assez de place pour quelques pas furieux, toujours les mêmes, en avant et en arrière étaient manifestement adolescents. Une autre demi-douzaine d’adultes arrivés à maturité – des femelles, comme je le voyais à leur énormes organes sexuels – étaient obligés de rester courbés en deux quand ils voulaient se mettre debout, et leur volume corporel remplissait pratiquement toute la cage. Un peu plus loin, j’ai vu quatre ou cinq adultes encore plus corpulents, qui secouaient les barreaux avec une force terrible. Ces gros mâles ont craché dans ma direction et m’ont jeté des ordures et des morceaux d’excréments ; ils me lançaient des regards haineux et me montraient leur bouche caverneuse grande ouverte et presque édentée. »
Russell Banks nous fait alors vivre avec une rigueur historique mais aussi romanesque les prémisses de la guerre civile dans ce petit pays. Et là, vous avez non seulement la sensation de vivre une histoire bien racontée, mais aussi de vous instruire. Un plaisir doublé !
Je ne vous conte pas la suite de l’histoire. Je ne puis en tout cas que vous recommander ce roman très dense, qui nous rappelle que les Américains savent ce que raconter des histoires signifie, et qu’on peut être né Outre-Atlantique et avoir une vision de l’Afrique qui n’est pas impérialiste.
Ah oui, j’oubliais : Russell Banks n’a jamais mis les pieds au Libéria. Dingue, non ?
American Darling, Russell Banks, littérature américaine, Actes Sud, 393 pages, 24 euros. Notre note : 4/5.
Du même auteur : La Réserve
Critiques, avis et analyses
Ce livre est noté sur ma liste (trop longue). Je me demande bien ce que j'ai fait pour ne pas l'avoir encore lu. Grrr ! Ayant adoré "De beaux lendemains", je suis certaine que je vais apprécier celui-là. Surtout que je l'ai vu en poche dernièrement. Je n'ai vraiment plus aucune excuse.
"Sous le règne de Bone" est aussi sur ma liste. Pfff ! les journées ne sont définitivement pas assez longues. ;-)
Cà y est ! j'ai craqué. J'ai le American Darling. J'ai failli prendre aussi "Sous de règne de Bone" mais de justesse un autre livre m'a attirée dans ses filets.
Suis cuite. ;-)
A ajouter absolument aux indispensables de Russell Banks: "Trailerpark". Un roman constitué d'une douzaine de nouvelles qui correspondent aux personnages qui vivent dans les différentes caravanes du camping. De la vieille folle au junkie en passant par l'infirmière noire qui ne trouve pas d'appartements en ville parce qu'elle est noire, des retraités de l'armée. Bref un panorama assez bouleversant de la crise que nous traversons et que les écrivains français négligent. Surtout la construction fait que l'on retrouve les personnages du camping d'une nouvelle à l'autre. Un bijou...
Jimhar
OK, je note aussi Trailerpark.
C'est plus une liste mais un roman feuilleton !! ;-)
Je suis un peu comme çà aussi. Quand la plume d'un écrivain me plait, me parle bien, j'aime bien découvrir toute ou une bonne partie de son oeuvre. C'est fort intéressant. On y voit les constantes ou les changements opérés dans le style, les évolutions dans les sujets traités.
ex : J.Ph. Blondel, le dernier en date ;-), Yasmina Khadra, André Brink, A. J Cronin (quand j'étais ado) et pleins d'autres.
J'ai relu la critique. Finalement, je ne vais pas atendre les vacances pour le dévorer. Qui peut s'occuper des enfants et du chien pendant que je lis?
Ok, je corrige les fautes sur le blog et j'en fais dans les commentaires. Mon "T" est malade. Foutu clavier.
Voilà, j'ai fini American Darling il y a quelques jours. Effectivement, pour du roman, c'est du roman. Y a tellement à dire sur cette histoire... C'est fou.
En tout cas, j'ai retrouvé avec plaisir le style de Banks. J'ai un peu peiné au début, Hannah m'agaçait un peu... mais finalement je m'y suis attachée. Quelle vie !!!
Quel talent aussi que celui de Banks pour nous raconter la vie du Libéria ! (surtout s'il n'y a jamais mis les pieds). Si on connait un peu l'Afrique dans ce coin.... C'est exactement cela.
Bref, un superbe moment de lecture. On plonge dedans et on ne relève la tête qu'au moment du point final.
C'est vraiment de la littérature avec un grand L.
Merci Bernard de m'avoir fait précipiter cette lecture. ;-)
totalement crédible ! je me suis aventurée un peu par là et je me suis retrouvée dans ce roman.
depuis que je l'ai lu, je me demande : comment il fait pour se mettre dans la peau de cette femme? il n'a jamais mis les pieds au libéria? quel talent, russell. j'avais adoré Bone et Continents à la dérive. Je lis "angel on the roof" dans le texte.
connaissez vous des blogs americains? Russell en a-t-il un?
merci.
Waaah! Là, on se dit qu'on n'a pas perdu son temps.
Il y a tout dans ce roman: des personnages complexes et tellement vrais, une histoire passionnante (presque l'histoire de toute une vie), un contexte historique et géographique super bien documenté. Et en plus, ça nous parle de choses fondamentales, du genre "quel sens donner à sa vie". Hannah finit par trouver que le sens de sa vie est "plus formé par le souvenir que par l'ambition et les désirs", ce qui est un peu déprimant, mais c'est aussi souvent vrai.
J'ai retrouvé l'Afrique que je connais, avec ses regards d'enfants inoubliables, ses grands écarts entre les cultures "manioc" et "coca-cola", entre l'insouciance et la cruauté la plus folle. Banks nous plonge dedans avec une facilité et une précision incroyables. De même, il nous fait revivre les années 70 aux USA, les mouvements révolutionnaires et la vague des bons vieux utopistes comme on les aime. Bien peu sont restés fidèles à leur idéal. Merci Hannah, merci Banks et merci Bernard pour tes conseils judicieux. Un tout grand roman.
Je profite de cet espace dédié à Russel Banks pour recueillir à bras ouverts un éventuel conseil des connaisseurs de cet auteur.
J'ai lu le superbe "De beaux lendemains", de la grande littérature. Puis j'ai enchaîné avec "le règne de Bone", très bon mais toutefois moins abouti que le premier. Comme il est dit dans ce topic, il est tentant de se coltiner avec l'oeuvre d'un auteur. Sauf qu'il arrive que l'amour s'érode au fil de pages trop (re)connues. Plus jeune, j'avais cru que je ne serais jamais las de John Irving (qui m'a refilé le virus de l'écriture) mais passé Garp, l'hôtel New Hampshire, et l'oeuvre de dieu..., j'ai décroché. Impossible de lire ne fusse qu'une page de plus.
Comme je n'ai pas très envie de renouer avec la déception ou la saturation, que lire de Banks ?
J'allais vers une certaine "Affliction" mais une "Darling" ou un "trailerpark" (dont le thème est prometteur) pourraient faire mon p'tit bonheur.
Vous le sentez comment ?
Eric Tchi.
Eric, je ne sais pas si mon avis, tout personnel, pourra t'aider. Mais je le souhaite. J'ai lu American Darling et donné mon ressenti plus haut. Je suis impatiente de me plonger dans Trailerpark dont j'ai lu beaucoup de bien un peu partout, ici et aussi sur le lien communiqué par Bernard. ;-)
Et puis en même temps, je me dis que parfois, il est bon de ne pas lire trop de chroniques et d'y aller à l'instinct, de faire son choix dans la boutique. Avec une 4ème de couverture ou l'émotion des toutes premières lignes ou de la couverture.. Et surtout parce que la lecture, c'est tellement affaire de chacun, de moment.
Je croise les doigts pour une excellente lecture pour toi, Eric.
Je suis d'accord avec toi, Bernard. Russel Banks est un Ecrivain avec un grand E, toute catégorie.
Voilà pour mon (petit) grain de sel ;-)
Après avoir lu les commentaires sur ce page ci vous êtes tous mes amis. Vraiment Russell Banks est un des grands
autoeurs de la literature américaine. Très sérieux - sans manquer d´humour - très profond dans ses analyses de la société et du "american way of life" et un grand raconteur dans le meilleu sens du mot. Finalement je veux recommender aussi "Cloudesplitter" et "Continental Drift". Surtout le premier. Tout à fait incroyable.
C´est drôle - ce soir je pensais à Russell - voulais chercher des nouveautés de lui et tombait par hazard sur votre page. Jamais vu une page pareille ou les gens s´échangent sur des livres. Une bonne idée.
Excusez mes fautes. Il fait longtemps que j´ai pas pratiqué le francais (suis allemand, mais vis dès 14 ans en Suède et maintenant je parle et écrit pratiquement surtout le suédois et anglais).
Einar je ne te connais pas, mais je suis très heureux de pouvoir partager le plaisir de lire Russell banks avec toi.
Suivant les conseils de ce blog, j'ai lu dernièrement "Trailerpark" et si c'est un Banks plutôt "light", ça reste du Banks et du bon... nom d'une pipe en bois !
E.T.
Bonjour Bernard et Eric,
merci pour le bienvenu. J'avais pas sauver l'adresse du blog et ce n'était pas facile à le retrouver.
L'autre jour j'ai oublié d'ajouter un auteur féminin qui est au même niveau que Banks: Annie Proulx. J'ai lu deux livres d'elle:
Shipping News and Accordion Crimes. Les deux sont extraordinaires. L'atmosphère, l'engagement rappellent à Banks.
Tout à l'heure j'ai lu qu'un nouveau livre de Banks va apparaître - à voir si je le peux attrapper à la bibliothèque.
Einar
Je viens de lire American Darling. (d'accord, je suis à la traîne). Vos commentaires sur l'oeuvre et l'auteur sont élogieux. Donc pas besoin que j'en rajoute. J'ai envie quand même de dire que cet auteur est déprimant et pessimiste. (J'ai lu naguère Continents à la Dérive).Est-ce qu'il veut transmettre un message sur le sens de la vie? Et la sienne, elle est comment? Aussi pourrie que celle de ses personnages?...Quand il ouvre les yeux le matin, est-ce qu'il pense à ses enfants morts tragiquement ou est-ce qu'il pense à ses enfants merveilleusement vivants?
bon, bah je suis tombée ici par hasard... j'ai lu tout Russell Banks, pour moi, le plus beau est "continents à la dérive", mais c'est aussi le premier que j'ai lu, alors... Et après vous avoir lus, me voilà avec l'envie de relire American Darling que je vais recommencer dès ce soir...
C'était juste pour signaler la parution chez Babel d'un des premiers : Hamilton Stark, qui est peut-être aussi bien que continent... mais je ne suis pas objective !
Bonne lecture (ca fait plaisir de lire tant de gens qui apprécient un tel auteur (pas pessimiste, qui parle juste de ce que l'on n'a pas forcément l'habitude d'ntendre). Cet homme est un génie
Sarah, c'est très plaisant de savoir ta passion pour cet auteur majeur. Je ne connais pas "Hamilton Stark" mais je vais voir de quoi il en retourne. Concernant la "vision pessimiste" et le présumé "message" de Banks que Marik déplore (voir un peu plus haut). Je ne pense pas qu'il soit pessimiste ou optimiste, ni qu'il ait quelque message universel à transmettre. Et à mes yeux c'est même une de ses qualités premières. Pas de morale, pas de projection, Banks ne verse pas dans la fable ni dans l'histoire "signifiante", il s'attache simplement aux personnes comme aux situations. De mon point de vue il n'y a nul part d'optimisme (et forcément de pessimisme), il y a juste la vie, ce qu'elle nous offre ou nous retire et le talent de la mettre en lignes.
Russel Banks est mon écrivain américain préféré.A ceux qui hésitent,je recommande sans restriction la lecture de ce roman porté à l'écran "Affliction".Il paraît que la violence des parents du personnage principal est proche de celle que l'auteur a connue dans son enfance.