Il faut oser, quand même, raconter l’histoire d’un porc épic à qui le destin a donné une surprenante mission : être le double d’un humain, nommé Kibandi. Et ce n’est pas de tout repos, car cela consiste à envoyer ses piquants dans le corps de ceux que son maître ne prend pas en sympathie. Non qu’il les déteste, mais une simple animosité peut engendrer l’irréparable.

Amédée, par exeple, paix à son âme, inspirait à Kibandi une particulière antipathie.

je n'ai pas attendu un deuxième ordre dit le porc épic parce que j'étais aussi en colère contre ce petit génie, je suis allé gratter avec rage la terre sous la porte de sa masure afin de me frayer un passage, et comme il tombait maintenant une pluie diluvienne ma tâche était aisée, ce qui fait qu'au bout d'un moment je suis parvenu à creuser un trou si grand que même deux porcs épics gras et paresseux pouvaient s'y introduire sans difficulté, et une fois à l'intérieur j'ai vu une bougie allumée, cet imbécile avait oublié de l'éteindre, il dormait sur le ventre alors j'ai avancé à pattes feutrées, je suis arrivé au niveau du lit en bambou, je ne sais pas pourquoi j'éprouvais de la crainte, mais j'ai pu la dominer, je me suis mis sur deux pattes et me suis agrippé contre le lit, j'étais à présent entre les jambes écartées d'Amédée, je me suis contracté pour choisir le piquant le plus ferme parmi les dizaines de milliers qui voulaient tous m'être utiles à cet instant et paf, j'ai lancé la charge qui a échoué en plein milieu de la nuque du jeune homme »

Outre l’histoire, vous en conviendrez, le style est osé : pas de majuscule et pas de point. J’ai trouvé cela irritant au début, mais cela s’oublie très vite, car on est captivé par les heurs et malheurs de ce couple hors du commun.

Car ce qui ressemble un peu à une succession de petits meurtres sans gravité, tourne rapidement au cauchemar quand Kibandi, le maître, prend goût à ses crimes et commence à aimer un peu trop le vin de palme...

Depuis que j’ai refermé ce livre, je cherche la morale de cette histoire. Je pense que cela tient un peu du fantasme, en somme. Qui n’a jamais eu envie de disposer d’un adjuvant fidèle pour supprimer ceux qui se mettaient en travers de son destin rêvé ? Mais qui peut dire qu’une personne ennemie aujourd’hui le sera demain ? Ou qu’une vengeance ne peut s’obtenir à titre posthume ? Si vous le lisez, ce que je vous recommande aussi chaudement, dites-moi ce que vous y voyez.

J’oubliais de glisser deux mots sur l’auteur. Il s’appelle Alain Mabanckou, il vit aux Etats-Unis et enseigne la littérature francophone à l’Université de Los Angeles. Il a un blog. Et moi qui croyait qu’un prof de lettres dans une université devait nécessairement être académique…

Mémoires de porc épic




Mémoires de porc épic, Alain Mabanckou, littérature africaine, Seuil, 228 pages, 16,5 euros. Notre note : 4/5.