Ou plutôt, c’est ce que raconte Montse, réfugiée de longue date en France, à sa petite fille. Nous sommes en 1936, peu avant la guerre d’Espagne. Dans le village de Montse, il y a José, le frère, anarchiste.

Il est émerveillé comme un enfant. Il apprend à lever le poing et à chanter Hijos del Pueblo. Il crie avec d’autres À bas l’oppression, Vive la liberté. Il crie À mort la mort. Il se sent exister, il se sent meilleur. »

Dans le même village, il y a Diego, le cousin, socialiste modéré.

Diego vient d’énoncer cette chose si merveilleusement raisonnable : que ceux qui veulent collectiviser collectivisent et que ceux qui préfèrent continuer comme avant continuent comme avant. Cela s’appelle le sens politique. »

Et il y a Dona Pura, la tante de Diego, nationaliste.

Elle s’était mise à défendre avec une fureur tout eucharistique, la Santa Guerra livrée par Franco, son Caudillo vénéré, son Génie absolu, son Sauveur envoyé par le Ciel, l’Artisan valeureux de la nouvelle Espagne. »

Ce petit monde se connaît de longue date, car il a grandi dans un village qui tangue depuis des lustres sous les roulis politiques qui agitent le pays. Jusqu’à cet été 36, juste avant la guerre civile, où un étrange vent de liberté souffle sur le pays.

José s’y jette à corps perdu, n’écoutant que ses valeurs, ses passions. Il part avec Montse à Barcelone, aux mains des anarchistes et y vit, avec elle, un été qui les marquera à jamais.

Deux jeunes filles en pantalon, les ongles peints en rouge, leur offrent, avec des airs crâne, des cigarettes blondes, et Montse découvre avec stupéfaction que des femmes qui ne sont pas des putes peuvent fumer comme les hommes. »

Montse y rencontre un séduisant Français de passage… Le paradis.

Pendant ce temps, plus stratège, Diego profite du désordre ambiant pour prendre le pouvoir dans le village. Et Dona Pura voit d’un bon œil la tournure des événements politiques, qui voit monter les franquistes.

José et Montse reviennent au village et voient décliner les idées libertaires, qui effrayent plus qu’elles ne structurent. Enceinte de son bel inconnu qui a fui sans laisser de traces sous d'autres horizons, Montse prend une décision qui va faire basculer le destin de José.

Je vais épouser Diego. »

José perd pied, et ne supporte pas de voir son rival monter et ses idées décliner.

Mais jusqu’où se déchireront ces frères ennemis, dont le seul point commun est d’avoir des convictions et de s’y tenir viscéralement ? Je vous le laisse découvrir.

Dans Pas Pleurer, Lydie Salvayre nous fait vivre de l'intérieur l'épisode libertaire préalable à la guerre d’Espagne. La plume est libre comme les idées du moment, et le français teinté d’espagnol de la narratrice ajoute à cette sensation de fraîcheur.

Lydie Salvayre alterne du reste le récit de la narratrice avec les écrits de l’écrivain Bernanos, qui, un temps acquis aux idées nationalistes, ose en dévoiler les exactions sitôt qu'il en a connaissance.

Cette écriture et cette narration décomplexées, alliées à la densité du récit dans un roman court ont leurs travers : difficile de suivre les événements, surtout si on n’a pas les repères historiques, et de comprendre qui est qui dans cette tragi-comédie.

Mais on ressort du roman avec un sourire attendri, en se disant, une fois de plus, qu’entre liberté et confort d’un ordre (r)établi, la seconde option est plus séduisante à beaucoup.

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Pas pleurer, Lydie Salvayre, littérature française, Seuil, 279 pages, 18,5 euros. ISBN : 9782846669221. Notre note : 3/5.