Leo King a 18 ans. Il se lance dans des histoires d’amitié avec candeur, fougue et conviction. Son art : s’éprendre des âmes les plus damnées. Et on le comprend : après la découverte du corps de son frère qui s’est donné la mort, il est immunisé contre la souffrance, et attire dès lors les naufragés de la vie.

J’avais dix-huit ans et je n’avais pas un seul ami de mon âge. A Charleston, pas un garçon n’aurait pensé à m’inviter à une fête ou à me proposer de passer un week-end dans la maison de famille au bord de la mer. J’ai pris des dispositions pour que tout changeât. J’avais décidé de devenir le garçon le plus intéressant ayant jamais grandi à Charleston.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Il rencontre notamment Sheba et Trevor, qui emménagent en face de chez lui. Leur mère est alcoolique, et leur père tente de les retrouver avec pour unique intention de les tuer. Sheba devient star à Hollywood, son frère mourra du sida. Il y a aussi Ike Jefferson, le fils du coach de l’équipe de Baseball. Le père de Ike forcera son fils, le Noir, et Leo, le Blanc, à être capitaines de l’équipe, pour faire un pied de nez à cette ville qui n’aime décidément pas le mélange des couleurs. Leur rencontre ressemble à un match ; ils s’observent, puis finissent par nourrir une amitié indéfectible, qui dopera l’équipe.

Je voulais évoquer l’intégration. Une seule fois. Après, plus personne dans cette équipe n’en parlera. Je n’ai jamais entraîné des joueurs blancs ou joué contre un entraîneur blanc. Ce soir, c’est donc doublement inédit. Avec vous, jeunes gens, je crois que nous allons faire rentrer ces Green Wave chez eux à Summerville à coups de pied au cul.

Des rencontres comme celles-là, il y en a des dizaines. A travers ces personnages, leurs joies, et souvent, leurs souffrances, Pat Conroy développe une fresque expressionniste de ce grand Sud que l’on découvre de nos cinq sens.

La rue se mit à sentir la café et le lard grillé ; un vent léger du port évoquait les bouées et les coques de navires saumurées par les marées et les ans ; le réveil des mouettes suivit le premier cargo virant en direction de l’Atlantique, et les cloches de St Michael répondirent aux cris faibles, presque humains des oiseaux.

Il faut parfois y regarder à deux fois pour s’y retrouver dans les personnages, mais on se prend à ralentir la lecture, pour prendre le temps de leur dire au revoir. Et on quitte Leo, à regret, en pensant qu’on quitte un homme, alors qu’on avait connu un adolescent. Comme lui, on en vient à remercier ces souffrances, ces bons moments, et, surtout, ces rencontres qui font grandir.

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Charleston Sud, Pat Conroy, Albin Michel, littérature anglo-saxonne, 583 pages, 22 euros. Notre note : 3/5.