C’est un peu comme si les événements s’étaient produits comme ceci.

Il était un fois un écrivain de quatre bonnes dizaines d’années. Irrité par certains excès de son temps, il a hâte d’écrire son septième roman afin de coucher sur papier ce qui l’empêche de se coucher lui.

Il se sent mieux après avoir écrit ceci.

Chez moi, on traite les enfants d’immigrés comme des délinquants à longueur d’année, jusqu’à ce qu’ils le deviennent, car les pauvres sont tellement obéissants qu’ils finissent par foutre le feu aux autobus et aux bagnoles, par courtoisie, pour ressembler à l’image qu’on leur projette d’eux-mêmes depuis la naissance. »

Et ceci.

En résumé, j’ai quarante ans : je ne sais pas qui je suis et je ne sais plus qui j’étais. L’angoisse du quadragénaire à l’approche de son anniversaire vient de l’addition de ces deux catastrophes. »

Apaisé, mais arrivé à la page 153, il se rend compte qu'il n'a pas d'histoire. L’avorton de tragédie esquissé au début est donc complété. Il prend la forme d’un monologue d’Octave, qui s’adresse à un pope. Le prêtre orthodoxe l’écoute religieusement dans son église, en plein cœur de Moscou.

Octave exerce la profession de « talent scout ». Il est chargé par une grande firme de cosmétiques de trouver en Russie de nouveaux mannequins vedettes. Ou, pour reprendre ses mots :

Mon but est simple : que trois milliards de femmes aient envie de ressembler à la même. »

Sur des pages entières, Octave décrit le cynisme de sa profession, avec tellement de chaleur et d’humanité qu’il n’est absolument pas crédible.

Et ce qui devait arriver arriva : il tombe amoureux d’une de ses « cibles », Lena, qui voit en lui une puissante turbine d’ascension sociale. Et le roman se termine sur une glissade grotesque, qui trace au coin de vos lèvres un irrépressible rictus, éventuellement assorti d'un « mais quel con ! » généralement réservé aux feintes un peu lourdes lâchées par ceux qu'on aime bien quand même.

En fait, pour apprécier « Au secours pardon », il faut oublier que ce livre voulait devenir roman quand il était petit. Il faut le lire comme un édito géant sur une société que le dieu argent frustre et qui s’en cherche un autre. Les considérations sensibles et faussement immatures d’Octave séduisent, sur l’argent, l’oubli de l’autre, la lubricité des hommes, l’exigence des femmes et la rupture entre les premiers et les secondes. En le lisant de cette façon, on passe un bon moment, on se prend à réfléchir, alors qu’on n’était pas venu pour ça.

Et on se dit qu’en fait, Beigbeder n’est pas un romancier de talent. Car il faut pour cela deux éléments : être romancier et avoir du talent. Il lui manque le premier.

Au secours pardon



Au secours pardon, Frédéric Beigbeder, Grasset, 19,90 euros.