Les rivages irlandais de John Banville sont gris comme le deuil. Le deuil de Max, qui s’en retourne sur les plages de son enfance après le décès prématuré de son épouse, Anna. Comme jadis, il descend aux Cèdres, un complexe de bungalows où il a vécu les belles heures d’un enfant au bord de l’eau.

Max raconte comment il était est parvenu à s’approcher, puis à se lier d’amitié avec la famille Grace. Une famille qui n’était pas de son rang.

Mes parents n’avaient pas rencontré M. et Mme Grace et ne les rencontreraient pas. Les gens d’une vraie maison ne fréquentaient pas les gens des bungalows et n’y songeaient même pas. Nous, on ne buvait pas de gin, on ne recevait pas d’amis le week-end et on ne laissait pas de cartes routières de France bien en évidence sur la place arrière de notre voiture. »

Max décrit comment il s’est épris de Mme Grace, puis comment son amour s’est reporté sur Chloé, la fille de Mme Grace. L’histoire suit le cours paisible des marées, jusqu’à ce que Chloé et son frère Myles soient pris d’une folie qu’aujourd’hui encore Max peine à s’expliquer.

John Banville entrelarde ce récit des états d’âme du narrateur, qui tente, non sans mal, d’accepter le décès d’Anna.

Ce truc n’était pas censé lui tomber dessus. Ce n’était censé nous tomber dessus, on ne faisait pas partie de ce genre de personnes. Le malheur, la maladie, la mort prématurée touchaient les braves gens, les humbles, le sel de la terre, pas Anna et moi. »

Il lui arrive même de lui en vouloir.

Connasse, putain de connasse, comment as-tu pu te barrer et me laisser ainsi, à me débattre dans mon ignominie, sans personne pour me sauver de moi-même. Comment as-tu pu ? »

« La mer », auréolé du prestigieux prix anglo-saxon Booker Prize, est un roman intelligent. L’écriture est fine, les métaphores sonnent juste.

Comme le vent souffle furieusement aujourd’hui, ses grands poings inefficaces et rembourrés martèlent les carreaux de la fenêtre. »

Mais c’est un roman ardu. Les amateurs d’histoires menées comme des concerts de percussions vont abandonner dès les premières pages. A juste titre.

L’intérêt de ce roman réside plutôt dans sa poésie. Il avance lentement dans le temps, puis revient à pas feutrés, et progresse à nouveau, charrie les sentiments, remue les destins, reprend les corps ou les épargne, à l’instar de l’étendue d’eau infinie qui lui sert de théâtre.

Tout ceci est d’une finesse telle que le risque est grand de n’en rien sentir, de vivre cela comme une journée grise au bord d’une mer nordique.

S’il existait des drapeaux pour les livres, je hisserais l’orange. Mais cette baignade déconseillée me fut délectable.

La mer


La mer, de John Banville, Robert Laffont, mars 2007, 247 pages, 20 euros. Vous pouvez le commander sur Amazon.