Quand, petite, je me montrais grincheuse, contrariante et dans l’ensemble insupportable, ma mère me réprimandait avec des : "Un jour, quelqu’un viendra me tuer et tu le regretteras". Enfant, on ne prend pas au sérieux ce genre de remarque. Mais je m’en rends compte maintenant : elle a toujours redouté qu’on vienne la tuer. Et elle n’avait pas tort ».

Et c’est parti ! William Boyd nous conte avec rythme, finesse et dans une langue admirable, l’histoire de Ruth Gilmartin qui découvre à 28 ans que sa mère n’est pas Sally Gimartin, comme elle le pensait, mais Eva Delectorskaya, née en Russie, ancienne espionne du gouvernement britannique.

Le plus pervers, dans cette histoire, c’est que la perfide Eva dévoile son destin à sa fille au compte goutte, en lui livrant, à chacune de ses visites, quelques pages du manuscrit de sa vie.

Entre chaque chapitre du manuscrit, William Boyd raconte les réactions de Ruth, et montre avec un certain cynisme comment cette histoire bouleverse sa vie de petite bourgeoise.

Ruth apprend ainsi que, juste avant la guerre, sa mère a quitté Paris pour la Grande Bretagne. Lucas Romer, son instructeur lui a alors enseigné les rudiments du métier d’espion.

"Ne faites confiance à personne", lui dit-il sans solennité mais avec une assurance et une sorte de certitude pratique, comme s’il déclarait : "aujourd’hui c’est vendredi". "C’est la seule et unique loi. Ne faites confiance à personne, - pas même au seul être en qui vous pensez avoir le plus confiance au monde" ».

Ruth découvre ensuite que sa mère est partie au début de la guerre aux Etats-Unis avec une mission : pousser les Américains à entrer en conflit avec l’Allemagne. Elle se fait passer pour une journaliste, et arrose les agences du monde entier de fausses nouvelles.

Au fil du roman, Ruth oscille, comme le lecteur, entre fascination et doute : et si tout ceci n’était qu’invention ?

Je me garderai bien de vous le dire.

« La Vie aux aguets » est une histoire drôle et légère. Boyd est un technicien du roman, un horloger. Mais au delà de l’histoire d’espionnage, qui pêche parfois un peu par ses invraisemblances, ce qui charme, c’est la quête de Ruth, qui trouve progressivement sa propre identité en découvrant celle de sa mère.

C’est autant un roman d’espionnage, qu’une très fine enquête psychologique, qui s’achève sur une fin à l’image d’Eva : espiègle et inattendue.

Une petite pensée de Ruth, pour terminer.

J’ai pensé, soudain, qu’il en est ainsi de nos vies à tous – que c’est le seul et unique facteur qui s’applique à nous tous, qui nous fait ce que nous sommes, notre mortalité commune, notre humanité commune : un jour quelqu’un viendra nous emporter. Pas besoin d’avoir été espion pour le pressentir. »

La vie aux aguets



La vie aux aguets, William Boyd, Seuil, 333 pages, 23 euros.