A travers le parcours du Kid, un jeune délinquant sexuel vivant sous un viaduc dans des conditions de misère, Russell Banks, au meilleur de sa forme, dénonce l’Amérique puritaine, les dérives d’Internet ou le nivellement par le bas de la presse via le prisme de ces exclus d’un genre particulier.

Le Kid a 22 ans. Il vit avec Iggy, son iguane, baptisé ainsi en hommage au chanteur Iggy Pop. Le Kid est délinquant sexuel. Il a grandi avec une mère nymphomane et s'est tellement emmerdé comme un rat mort, qu’il a passé le plus clair de son temps à se masturber plusieurs fois par jour devant des films pornos via son ordinateur portable.

Et comme tout délinquant sexuel condamné, il lui est interdit de vivre à moins de 760 mètres d’une école, d’un lieu où se rassemblent des enfants. A Calusa, en Floride, c’est mission impossible. Le Kid vit donc sous le viaduc de Claybourne, avec ses semblables.

Jusqu’au jour où débarque dans la vie du Kid, le Professeur, un brillant prof de l’université de Calusa, spécialiste des sans-abri, désireux d’interviewer le gamin en vue d’une étude.

La condition des sans-abri, ses origines et ses solutions éventuelles l’intéressaient d’un point de vue professionnel. L’appareil juridique conçu pour répondre aux délits sexuels l’intéressait aussi. Sans oublier la psychologie du déni, mais il s’agissait d’un intérêt plus personnel que professionnel. Lorsqu’en rentrant chez lui de l’université, il s’arrêta, rangea son monospace au bord de la route et descendit dans l’obscurité qui régnait sous le Viaduc, il s’attendait à ne voir que l’endroit où les gens avaient vécu, pas les gens eux-mêmes »

Grâce à la faculté d’écoute du Professeur, le Kid retrouve un tout petit peu confiance en lui. Mais très vite, Russell Banks, chez qui rien n’est jamais ni noir ni blanc mais plutôt gris acier, sème le trouble.

Au fil des rencontres une étrange amitié va naître entre les deux hommes.

Dix-sept ans après Sous le règne de Bone, ce roman racontant la vie d'un ado égaré recueilli par un rasta, l’auteur du Livre de la Jamaïque reprend un peu le même schéma. Le Kid, c’est le Bone d’aujourd’hui et le Professeur, le rasta ami et mentor de Bone. La volonté de transmission, l’acceptation de soi, l’identité comme autant de thèmes qui parsèment l’œuvre de l’auteur.

Sauf que Lointain souvenir de la peau est un livre extrêmement ambitieux. Surtout dans la complexité de sa structure narrative. C’est d’ailleurs son roman le plus ambitieux depuis American Darling (2005).

Parce que derrière le délinquant sexuel, Banks, qui reste au plus près de ses personnages avec une rare empathie tout en s’abstenant de porter un jugement, dresse aussi le portrait de l’Amérique d’aujourd’hui. Internet et ses dérives. L’exclusion sous toutes ses formes. L’hypocrisie ambiante et même la presse.

Et les photos et les vidéos ? Les photos ne mentent pas, man.

Tout ment.

Si tout est mensonge, alors il n’y a rien de vrai.

Tu as tout compris, Kid. A peu près. Ca veut dire qu’on ne peut jamais vraiment connaître la vérité de quoi que ce soit ».

Au final, l’histoire du Kid pourrait être celle de tout un chacun. Celle d’un être humain prisonnier de ses erreurs et de sa naïveté. Echappe-t-on vraiment à son passé ? Pourquoi ment-on et dans quel but ? Sommes nous vraiment ce que nous prétendons être ou ce que nous souhaiterions devenir ? Autant de questions qui foisonnent ce grand roman contemporain qu’on ne peut que vous recommander chaudement.

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Lointain souvenir de la peau, Russell Banks, littérature anglo-saxonne, traduit de l’américain par Pierre Furlan, Actes Sud, 444 pages, 23,80 euros. Notre note : 4/5.




 

Du même auteur : Américan Darling et La Réserve