Attiré par le titre, j’ai franchi la lisière de « Cochon d’Allemand », de Knud Romer, qui conte l’enfance douloureuse de l’auteur, dont la mère fuit les nazis à la fin de la guerre pour se jeter dans les bras d’un Danois. Le couple s’installe dans la petite cité de Nykobing, sur l’île de Falster. Un endroit qui n’incite pas à la gaudriole.

L’île de Falster était située si haut dans le nord qu’il n’y avait jamais de vrai été, et si bas dans le sud qu’il n’y avait jamais de vrai hiver. Pas de neige, pas de soleil non plus, rien que pluie, grisaille, froid et brouillard. C’était désespérant, et quand venait le mois de décembre, le sapin de Noël en haut de la cheminée de la sucrerie de Nykobing avait l’air de vouloir se suicider en se précipitant vers le bas. »

Knud, le narrateur, raconte l’arrivée de ses parents dans ce village danois, et la manière dont sa mère fut accueillie en Allemande. Personne n’eut envie de connaître son passé d’opposante au régime nazi, et son orgueil la retint de le faire connaître. Conséquence :

Mère demandait un pain blanc, un pain de seigle, un litre de lait entier et un paquet de beurre ; on lui refilait du lait qui avait tourné, du beurre rance, du pain rassis et on la trompait sur la monnaie. »

Plus tard, ce sera au tour de Knud de subir l’assaut.

J’étais un cochon d’Allemand. Je passais la quasi-totalité du temps au centre d’un cercle formé par des garçons et des filles qui me bousculaient, me crachaient dessus et scandaient des injures. »

Knud trouvera quelques émouvants moments de fuite, que lui offriront sa passion pour les timbres-poste et surtout la radio.

A la fréquence de 208 kHz, mon oreille la capta : Radio Luxembourg ! Je n’avais jamais rien entendu d’aussi irrésistible. J’avais réussi à me sauver du dix-neuvième siècle pour rejoindre enfin l’année 1974. En proie à une euphorie indescriptible, étincelante, pétillante – rien n’était plus comme avant – j’attendais avec impatience vingt heures, le début des émissions. »

Lors de ma balade dans « Cochon d’Allemand », il m’est arrivé plus d’une fois de me perdre. Le texte est dense comme une forêt d’épicéas et il arrive que l’auteur impose des retours en arrière qui brouillent la carte. Les personnages foisonnent, et il est malaisé de les reconnaître.

Mais comme dans ces balades où l’on s’est un peu perdu, on revient heureux d’avoir effectué la traversée. Les images restent, et le paysage suscite la réflexion. On se demande comment une mère, puis son fils, ont pu supporter l’humiliation et l’ennui sans songer une seconde à changer d’horizon, pas même à partir en balade. La peur de se perdre, peut-être ?


Cochon d'Allemand



Cochon d'Allemand, Knud Romer, traduit du danois par Elena Balzamo, Les Allusifs, 183 pages, 16 euros.