La soeur de Lucine est morte, lui laissant à elle et à son autre soeur la charge de deux enfants en bas âge.

L'un des enfants est de père inconnu, et celui de l'autre n'a plus jamais donné signe de vie. C'est pour le retrouver et lui demander une aide financière que Lucine entreprend le voyage vers Port-au-Prince.

Mais dès qu'elle descend du bus...

La tête se mit à lui tourner. Elle était assaillie par un déluge de couleurs rouge, jaune, vert, orange, des peintures de voitures, des décorations des bus. Abasourdie par le vacarme continu des moteurs, des klaxons, de chauffeurs hélant le chaland. Dans ce grand carrefour du Sud de Port-au-Prince, c'était un inextricable amoncellement de bus, de camionnettes, de voitures et chaque véhicule était chargé dans des cris ininterrompus, les passagers essayant de faire rentrer des paquets énormes, et ça criait. »

Lucile sait alors qu'elle ne quittera plus jamais cette ville. Elle retrouve Saul qu'elle a connu quand ils étaient étudiants et qui l'amène chez Fessou, une ancienne maison close où chaque jour se retrouve une bande d'amis qui aiment rire, danser, boire, jouer aux dominos et qui ensemble oublient les horreurs vécues dans leur chair sous la dictature des Duvalier.

Le bonheur est là, si proche et tellement simple.

Le vieux Tess observa le petit groupe qui était sous ses yeux. Le vieux rêve de Fessou était là : des hommes de tout âge, de toute classe sociale réunis en un établissement qui ne faisait aucune distinction entre les uns et les autres et offrait simplement à tous le temps du partage et de la conversation. »

Mais à Haïti, la tragédie n'est jamais loin et les esprits vaudou, bienfaisants ou maléfiques en profitent pour se manifester.

Tout bascule en 35 secondes. Des milliers de vies disparaissent à jamais dans les décombres, la poussière et le chaos. Un réplique achève de plonger la ville dans l'anéantissement. Les familles, les amis se cherchent désespérément et les survivants blessés ou indemnes sillonnent la ville et créent partout des chaînes de solidarité.

Personne n'avait remarqué que le monde animal tendait l'oreille tandis que les hommes, eux, continuaient à vivre. Mais d'un coup, sans que rien ne l'annonce, d'un coup, la terre subitement refusé d'être terre, immobile et se mit à bouger durant trente-cinq secondes qui sont trente-cinq années. A danser, la terre. A trembler. »

Ce roman est magnifique, débordant de vie, de poésie, de chaleur humaine. Laurent Gaudé a une telle affection pour ses personnages que nous, lecteurs, ne pouvons que les aimer aussi courageux, fiers, amoureux fous de la vie.

Malgré la tragédie, on quitte ce livre remplis d'émotion bienfaisante et d'empathie pour le peuple haïtien.

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Danser les ombres, Laurent Gaudé, littérature française, Actes Sud, 250 pages, 19,80 euros. ISBN : 2330039719. Notre note : 4/5.




D'autres livres de Laurent Gaudé : Eldorado, Dans la nuit Mozambique et La porte des enfers.