Tout craque dehors. Les femmes prient à voix basse sur la tête de leurs enfants. Ils se serrent, jambes entremêlées bras enlaçant les corps des plus petits, haleine dans les cheveux. Les ténèbres, à l'extérieur font un bruit de tambour. Que restera-il de la ville? Chacun se pose la question, mais nous essayons de ne pas penser plus loin que notre propre survie. Tenir jusqu'au moment où le vent faiblira, laisser les heures s'écouler et survivre à tout cela. »

Il y a « la vieille négresse » comme elle se définit elle-même, qui s'octroie un peu le rôle du chœur antique en commentant les événements dont elle est témoin, en leur prêtant un sens et en intervenant dans l'action.

Il y a les résidents de la prison locale que dans leur fuite, les autorités se sont empressées d'oublier et qui voient avec épouvante l'eau monter dans leur cellule. Il y a le prêtre, aussi, mal dans sa peau et dans son sacerdoce : le sauvetage physique et psychologique de ses paroissiens pourrait, croit-il, le réconcilier avec sa vocation.

Et puis il y a cette jeune femme abandonnée par son amant et qui, avec une dignité incroyable, va tout faire pour se protéger, elle et son petit garçon. L'amant, quant à lui, pas très fier de son attitude tentera de braver les éléments pour revenir vers elle et lui venir en aide.

Voir des personnages banals se révéler soudain à eux-mêmes face à des événements imprévus et dramatiques est profondément émouvant : on a peur, on souffre, on se révolte (les victimes sont majoritairement noires) et on s'incline devant tant de dignité silencieuse et agissante.

Elle regarde les rues de la ville qui se vident, les grappes de gens qui courent pour évacuer les maisons et elle sait qu'il n'y aura pas place pour elle. Elle regarde les pères de famille charger les voitures jusqu'à ras bord, prendre des réserves d'essence, elle regarde les mères qui ont des visages tendus et redemandent pour la cinquième fois aux enfants s'ils ont bien rempli leur gourde, elle regarde tout cela et elle sait qu'elle n'en fait pas partie. »

Chacun, imprégné de son passé, va chercher dans ces péripéties dramatiques l'occasion de repartir à zéro. Certains en sortiront réconciliés avec eux-mêmes, d'autres y perdront définitivement leur âme. L'empathie de Gaudé pour ses personnages nous touche profondément et se partage; ajoutez à cela un style onduleux presque incantatoire parfois, sobre et efficace et vous refermez le livre en pensant : quel beau roman !

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Ouragan, de Laurent Gaudé, Actes Sud, 192 pages, 19 euros. Vous pouvez le commander sur Amazon.