Marie est créatrice de mode. La saison automne-hiver bat son plein, et elle tente un « coup » audacieux : une robe de miel.

Une robe sans attaches, qui tenait toute seule sur le corps du modèle, une robe en lévitation, légère, fluide, fondante, lentement liquide et sirupeuse. »

La créatrice va plus loin : elle entend faire suivre sa mannequin d’un essaim d’abeille pour lui faire cortège. Mais le jour du défilé, c’est le fiasco. Les abeilles, déconcertées par un faux pas de la top model, la piquent de la tête au pied.

Et l’auteur part de cette déconvenue pour dresser un portrait de femme, Marie, tout ce qu’il y a de plus extraordinaire. Que le caprice des abeilles n’a pu que rendre plus belle. Car elle décide de cesser de travailler sur la perfection, mais de se concentrer sur ce qui échappe.

Marie n’avait encore jamais envisagé de travailler consciemment sur ce qui échappe. Non, elle voulait toujours tout contrôler, sans voir que ce qui lui échappait était peut-être ce qu’il y avait de plus vivant dans son travail. Car il y a de la place, dans la création artistique, pour accueillir le hasard, l’involontaire, l’inconscient, le fatal et le fortuit. »

Le narrateur décrit sa belle avec d’autant plus d’intensité qu’ils ont récemment rompu, mais la séparation n’est pas plus conventionnelle que nos personnages.

Nous étions tout le temps ensemble. C’était même ainsi, et uniquement ainsi, que je concevais maintenant la séparation avec Marie, en sa présence. »

Le reste de l’histoire, si l’on peut oser ce mot, est totalement sans intérêt. Ce qui touche, c’est ce beau portrait de femme, en ses nombreuses manifestations. Comme celle-ci.

Il y avait toujours eu, chez Marie, une qualité d’émotion incomparable, qui ne tenait pas tant aux circonstances réelles qu’à cette disposition océanique que j’avais repérée en elle, qui acérait sa sensibilité, l’exacerbait et faisait vibrer ses sentiments avec une intensité hors du commun. »

Et une multitude de petits délires, de détails loufoques, que s’autorise Jean-Philippe Toussaint. Comme ici.

Une lézarde était en train de s’installer dans notre rupture. Si elle venait à s’élargir, c’est l’idée même de notre séparation qui s’en trouverait menacée. »

J’ai adoré ce roman futile. Il se fiche des codes comme d’une guigne, il suit sa route, en paix, tout occupé qu’il est à nous décrire un joyau de féminité. Un roman dilettante, c’est vrai, mais il est un aspect sur lequel l’auteur ne fait pas de concession, et c’est sans doute ce qui donne son élévation à ce livre : le style.

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Nue, Jean-Philippe Toussaint, littérature française, Les éditions de Minuit, 170 pages, 14,5 euros. ISBN : 2707323055. Notre note : 4/5.