C'est l'histoire d'un bar perdu au fin fond de la Corse. Cet établissement était en déshérence depuis que Marie-Angèle, le propriétaire, avait décidé de ne plus l’exploiter.

Marie-Angèle savait maintenant avec certitude qu’elle n’ouvrirait plus le bar, elle ne s’infligerait pas une seule fois de plus le spectacle de l’infecte soupe jaunâtre cristallisant dans les verres sales, l’odeur des haleines anisées, les éclats de voix des joueurs de belote et les disputes incessantes avec leur rituel des menaces jamais mises à exécution, immanquablement suivies de réconciliations larmoyantes et éternelles. »

Après quelques expériences désastreuses avec des gérants indigents, qui pensent pouvoir diffuser de la techno au lieu des polyphonies corses et servir des cocktails hors de prix à la place du pastis, Libero et Mathieu, deux petits gars du village revenus de Paris auréolés d’une licence en philo, décident de reprendre la barre. Leur modèle : Leibnitz (!) et son meilleur des mondes possibles.

Et c’est qu’ils y parviennent, les bougres. Une sorte d’union sacrée s’installe, qui entraîne clients, serveuses, musiciens, gérants et tout le village dans une danse joyeuse que rien ne semble devoir contrarier.

Il faut dire qu'ils ont une éthique, les bougres.

Annie était bien d'accord, dans la vie, on pouvait se permettre des tas de choses mais, quand on tenait un bar, jamais au grand jamais, il ne fallait niquer les serveuses. Mathieu et Libero assurèrent qu'une telle horreur ne leur avait jamais traversé l'esprit. »

Et pourtant, les premières fissures apparaissent dans l’édifice. Une serveuse pique dans la caisse et ce n’est que le début de la malédiction.

L’auteur entrecoupe le récit du bar avec l’histoire de la sœur de Mathieu, archéologue en Algérie, et celle de Marcel, son grand-père, revenu au village après toutes les guerres du vingtième siècle. Mais ces destins parallèles sont somme toute de peu d’intérêt, et on comprend mal leur rapport avec cette sympathique histoire de bistrot.

Au final, on a lu un roman à l’écriture dont la complexité en rebutera plus d’un mais dont la finesse enchantera les autres. Elle suggère plus qu’elle ne décrit, et conte les épisodes les plus rocambolesques et même les plus vulgaires, avec une classe infinie. L’histoire est quant à elle adorable, et les personnages si bien en chair qu’on croit les avoir connus. L’auteur glisse aussi, avec pertinence, des éléments philosophiques. Il convoque Leibnitz, ou Saint Augustin, dont on trouvera des extraits des sermons à l’entame de chaque chapitre.

Jérôme Ferrari dit en fin de roman où il veut en venir, il compare la chute du bar avec celle de Rome, comme si l’homme était faillible dans ses petites comme dans ses grandes réalisations, et livre, à l’appui de sa thèse, ce très bel extrait du sermon :

L’homme bâtit sur du sable. Si tu veux étreindre ce qu’il a bâti, tu n’étreins que le vent. Tes mains sont vides et ton cœur affligé. Et si tu aimes le monde, tu périras avec lui. »

chute2.jpg



Le sermon sur la chute de Rome, Jérôme Ferrari, littérature française, Actes Sud, 201 pages, 19 euros. ISBN : 2330012594. Notre note : 3/5.