Et là, dans une impulsion, j'ai sorti de ma besace le dernier roman de Mathias Enard, « Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants », et j'ai dit que jamais je ne pourrais me priver de la beauté d'une couverture, du plaisir de promener mon doigt sur le fin carton lisse et coloré.

Puis je plongeai le nez au cœur du livre, et cette effluve boisée, propre aux romans publiés chez « Acte Sud » acheva de me convaincre de l'invincible sensualité du livre papier. Au cœur du bar, l'ouvrage voyagea de nez en nez, comme on se serait passé un verre de vin millésimé pour en saisir le bouquet délicat.

Une semaine plus tard, une autre certitude se fit jour, cruelle : ce n'est pas parce qu'un livre est joli et sent bon qu'il est réussi.

Mathias Enard raconte une courte tranche de vie de Michel-Ange, qui, le 13 mai 1506 débarqua à Constantinople à la demande du Sultan, aux fins d'y dessiner un pont devant marier les deux rives de la Corne d'or.

Un ouvrage de plus de neuf cents pieds de long. Michel Ange a mollement essayé de persuader les franciscains qu'il n'était pas qualifié. Si le sultan vous a choisi, c'est que vous l'êtes, maître, ont-ils répondu. »

Mais, pour Michel Ange, l'enthousiasme des débuts se mue rapidement en profond tourment.

Parce qu'il s'en veut de se montrer infidèle au pape, à qui il a promis un tombeau.

Mon Dieu pardonnez-moi mes péchés, mon Dieu pardonnez-moi d'être auprès d'infidèles. »

Parce que les balades dans Constantinople avec son ami le poète Mesihi le fascinent.

Les feux des tours de Péra sont allumés; la Corne d'Or dans des méandres de brumes obscures et, à l'est, le Bosphore dessine une barrière grise dominée par les épaules sombres de Sainte-Sophie. »

Et parce que l'amour finit par le mordre.

La ville balance entre l'est et l'ouest, comme lui entre le sultan et le pape, entre la tendresse de Mesihi et le souvenir brûlant d'une chanteuse éblouissante. »

Ces déchirements, et quelques êtres malfaisants empêcheront-ils Michel Ange d'arriver à ses fins ? Je vous le laisse découvrir.

Ce joli roman, joliment écrit, part d'une jolie idée. C'est bien joli tout ça, mais à tant s'attacher à la forme, l'auteur semble avoir oublié de soigner son intrigue, qui manque un peu de corps. Exigeant, moi ? Peut-être. Mais la couverture, l'odeur et la plume étaient si prometteuses...

Mais jamais ce roman ne quittera ma bibliothèque. Il est vraiment trop joli. Et il sent trop bon.

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Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants, Mathias Enard, Actes Sud, 154 pages, 17 euros. Vous pouvez le commander sur Amazon.