Nous sommes en Angleterre dans les salons où les bonnes et étouffantes manières sont tenaces.

C'était encore l'époque où le fait d'être jeune représentait un handicap social, une preuve d'insignifiance, une maladie vaguement honteuse dont le mariage était le premier remède.

Edward aime Florence...

Comment aurait-il pu ne pas aimer quelqu'un d'une sensibilité et d'une originalité tellement à part, d'une honnêteté et d'une lucidité si scrupuleuses, dont la moindre émotion et la moindre pensée affleuraient dans toute leur nudité ? »

... et Florence aime Edward.

Pour la première fois, son amour pour Edward était associé à une sensation physique définissable, aussi irréfutable qu'un vertige. Jusque-là, Florence n'avait eu droit qu'à un brouet d'émotions chaleureuses et réconfortantes, un épais manteau hivernal de gentillesse et de confiance. »

Des tourtereaux si sûrs de leurs sentiments devaient nécessairement entrer dans une fusion extatique, passées les peurs des premières minutes de la nuit de noce. Mais c'était compter sans la maladresse de l'élu et sans les réserves viscérales de la belle.

Florence soupçonnait qu'il y avait en elle quelque chose de profondément anormal. Son problème, se disait-elle, dépassait de loin le simple dégoût physique; tout son être se révoltait à l'idée de la nudité, des corps enchevêtrés. On était sur le point de violer sa quiétude et son bonheur essentiel. »

Aussi la nuit de noce est-elle une nuit noire. Et l'explication qui suit, sur la plage de Chesil, est d'autant plus risquée pour ces âmes sincères...

« Sur la plage de Chesil » est construit avec une redoutable adresse. L'auteur s'approche à pas lents de la fameuse nuit, donnant à son récit des allures de thriller sentimental. La plume, élégante et précise se révèle altière lorsqu'il est question de livrer les sentiments les plus nobles, et crue lorsque l'auteur aborde le langage impossible des corps. Tout est finesse et vérité des sentiments.

Ne vous laissez pas mener en bateau sur la plage de Chesil : l'auteur est habile quand il situe son récit dans l'Angleterre puritaine. Mais le message reste universel : celui de l'incompréhension entre un homme et une femme qui s'aiment et ses conséquences parfois dévastatrices.

Non, les lois de l'amour n'ont pas changé. Il faudrait pour cela qu'elles existent.

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Sur la plage de Chesil, Ian McEwan, Gallimard, littérature anglo-saxonne, 149 pages, 16,90 euros. Notre note : 4/5. Vous pouvez le commander sur Amazon.