Or donc, voici « Paroles d’écrivains ». Je me suis aperçu qu’on leur posait souvent les mêmes questions, à nos amis de la plume. En guise de rétrospective, je vais reprendre, dans la presse de l’année, une question qui a été posée à plusieurs écrivains et vous livrer leur réponse, histoire de comparer les sensibilités.

La question de la semaine: « Comment écrivez-vous ? »

Philippe Claudel, octobre 2007

Philippe Claudel« J’écris dans une sorte d’inconscience. J'écris comme un lecteur, mot à mot, ligne à ligne, page après page. Je découvre le roman en l'écrivant. J'avance dans le noir et c'est pour cela que je dis que je suis moins un écrivain qu'un lecteur. Et je suis incapable de faire un plan. Jadis, quand j'essayais d'en faire, je n'arrivais pas à écrire parce que cela me stérilisait complètement. Evidemment je ne suis pas complètement idiot en écrivant, je pressens de choses, mais à la fin, la lecture devient un bain révélateur et je vois mon cliché qui commence à sortir, je vois les contrastes et je vois la photo. » (dans Le Soir, dernier roman : « Le rapport de Brodeck »)


Eric Emmanuel Schmitt, novembre 2007

Eric-Emmanuel Schmitt« Avant, j’étais dans une espère d’urgence vitale : il me fallait écrire, vite, tout ce que j’avais à écrire et publier. J’ai vu tellement de gens qui voulaient écrire mourir avant d’avoir terminé le moindre livre… Cela m’a donné ce sentiment d’urgence : si je vis, il faut que je mérite cette vie. Voilà pourquoi j’écris d’un jet, avec force et violence sans prendre beaucoup de temps pour me relire. Aujourd’hui, j’ai sans doute mûri : je déteste me relire trop longuement car j’ai l’impression de l’écrivain qui se regarde le nombril, mais je prends vraiment le temps de retravailler, d’épurer. » (dans Lire, dernier roman : « La rêveuse d’Ostende »)


Eric Orsenna, juin 2007

Erik Orsenna« C’est sur mon bateau que j’écris le mieux. Car on s’emmerde en bateau. Très souvent, ce que j’écris est nul. Mais c’est normal. Ce qui est anormal, c’est quand ça marche, quand on ne ressent ni douleurs particulières, ni angoisses. Je procède par couches. Me méfiant de la velléité, je vais jusqu’au bout. Après, j’examine. Quitte à jeter 300 pages. » (dans Lire, dernier roman : « La grammaire est une chanson douce »)



Michèle Lèsbre, septembre 2007

Michèle Lèsbre« Pour chacun de mes romans, il y a d'abord tout un temps de gestation pendant lequel je prends simplement des notes, qui d'ailleurs ne me serviront pas toutes. Cela dure plusieurs mois, disons quatre ou cinq, puis je commence à écrire, sans plan car si j'en faisais un, j'aurais l'impression de l'avoir déjà écrit. J'aime écrire comme ça, comme une sorte d'aventure, comme je marche dans une ville que je ne connais pas et le texte lui-même s'écrit en cinq ou six mois, c'est variable. » (sur l'Internaute, dernier roman : « La canapé rouge »)

Doris Lessing, décembre 2007

Doris Lessing« On demande souvent aux auteurs : "Comment écrivez-vous ? Avec un ordinateur ? Une machine à écrire électrique ? A la main ?" Mais la question essentielle est celle-ci : "Disposez-vous de cet espace libre qui devrait vous entourer quand vous écrivez ?" À l'intérieur de cet espace, qui est proche d'une forme d'écoute, d'attention, vous viendront les mots, les mots que diront vos personnages, des idées. Si l'écrivain ne peut pas trouver cet espace, alors poèmes et histoires peuvent être mort-nés. Quand des auteurs parlent entre eux, l'objet de leurs questions a toujours un rapport avec cet espace, cet autre temps : "Tu l'as trouvé ? Tu le tiens ?" » (dans Le Monde, dernier roman : « Un enfant de l’amour »)

La semaine prochaine la question sera : « Pourquoi écrivez-vous ? » Bonne semaine à tous !