« Muriers sauvages », de l’auteure libanaise Imane Humaydane Younes raconte l’histoire de Sara, qui grandit au cœur du petit village d’Ayn Tahoun. Sara n’a pas de maman et constate sans comprendre que les femmes du village ne l’appellent pas par son prénom.

La fille de la maudite, voilà comment elles m’appellent. Un nom plus présent dans mon esprit que Sara. "La maudite", que mon père n’a pas cessé d’aimer et dont il garde précieusement une photographie sous son lit. »

La vie suit doucement son cours dans la partie du village où réside Sara, avec son père, autoritaire, sa tante, aigrie, son demi frère rebelle, et sa voisine, la douce Moutia. Les jours s’écoulent au rythme du travail des chenilles qui font vivre la petite fabrique de soie.

Sara grandit, et, avec elle, l’envie de savoir pourquoi sa mère a disparu. Quand elle en parle à Moutia, celle-ci lui fait toujours la même réponse :

Ta mère est partie à la recherche de son âme. On ne peut pas vivre sans son âme, l’air devient irrespirable. Si elle était restée ici, elles aurait fini par étouffer. »

Sara tente de calmer ses interrogations dans l’amour. Elle vit un rêve avec Karim, à l‘endroit même au naît la soie.

Il se trouvait face à moi quand, soudain, il m’a enlacée. J’ai laissé tomber une pleine brassée de feuilles en poussant un cri de surprise. Le bruit des chenilles me faisait penser au crépitement d’une averse automnale sur la terre sèche. Je me laissais entraîner à reculons vers le mur, tout en lui glissant que je sentais mon corps chanceler. Mon corps dispos jusque dans la dernière de ses fibres. »

Je ne veux vous dévoiler si cet amour apaisera la soif de savoir de Sara, ou, au contraire, s’il lui permettra de résoudre sa question.

Je ne voudrais en effet vous gâcher le plaisir de déguster ce petit roman, très finement écrit, qui allie deux qualités que l’on voit rarement mariées : une écriture sensuelle, à l’instar des moments qu’elle décrit, et une très grande pertinence psychologique. Les événements paraissent parfois anodins, avant de se révéler comme autant de balises sur le chemin de la connaissance que suit inlassablement Sara. C'est aussi l'histoire de femmes qui violent intelligemment la toute puissance des hommes quand ils font entrave à leur bonheur.

Il y a aussi des petits moments de bonheur tout simple, sans enjeux, gratuits. Comme ici.

Rien… Rien n’égale la sensation que me procure la coulée d’une goutte de rosée le long de ma nuque. Une goutte brillante sur une feuille d’amandier qui perle, roule et se détache. Elle tombe puis glisse lentement, dessinant sur ma peau une douce ligne sinueuse qui réchauffe mon corps transi. Rouvrant les yeux je vois luire au dessus de moi un soleil pâle. »

Après une lecture difficile, après un moment pénible, où par temps glacial, qu’il est bon de s’emmitoufler dans cette belle histoire !

Mûriers sauvages



Mûriers sauvages, Imane Humaydane Younes, traduit de l'arabe (Liban) par Valérie Creusot, Verticales, 149 pages, 17,50 euros.