Question existentielle, que je me suis posée, un jour du Seigneur après avoir lu, dans un journal, un article qui se terminait par ces mots : « "Par une nuit où la lune ne s’est pas levée" est un roman soutenu par une philosophie de confiance. On sort de ce livre rassasié. Rassuré. Béat ».

Le genre de mots positifs et ciselés qui créent l’urgence. Mais bon, faute de librairie de garde, j’ai attendu l’aube du lundi pour l’acquérir. Et je ne fus pas déçu. Le plus drôle, c’est que ce roman de Dai Sijie, à qui l’on doit le film « Balzac et la petite tailleuse chinoise », parle justement de la quête échevelée d’un texte. C’est l’histoire d’une relique qu’on s’arrache au fil des siècles. La voici décrite dans les premiers mots du livre :

Appelons-le relique mutilée, ce petit bout de texte sacré, écrit dans une langue déjà disparue sur un rouleau de soie qui, victime d’une violente crise de folie, fut déchirée en deux non par des mains, ni un poignard ou des ciseaux, mais bel et bien par les dents d’un empereur enragé. »

La narratrice est une étudiante française en Chine, qui apprend l’existence du rouleau, et se pique d’en retrouver et d’en comprendre les deux fragments. Au fil de ses pérégrinations, elle tombera follement amoureuse de Tûmchouk, un garçon dont l'élan se brisera lorsqu’il apprendra le cruel destin de son père, à qui le rouleau, et la vie, ont été confisqués par les autorités communistes.

Par le truchement de sa narratrice, Dai Sije nous fera aussi pénétrer dans un monastère-imprimerie bouddhiste. Il nous emmènera au fond d’une mine de diamants, avec les « criminels de pensée » sous le régime communiste. Il nous baladera dans les ruelles de Pékin. Mais surtout, il nous contera, par les sentiers buissonniers, la vie privée des empereurs chinois.

Au fond, l’histoire du manuscrit n’est qu’un prétexte pour nous balader dans la Chine d’hier et d’aujourd’hui, à travers 1001 histoires.

Je pourrais comprendre qu’on reproche à ce livre son éparpillement et quelques invraisemblances. Mais ce petit bain en mer de Chine m’a revigoré.

Pour terminer, je ne résiste pas à l’envie de vous livrer un croquis d’ambiance d’une rue de Pékin en 1978…

La rue de la Petite-Inde, qui n’avait rien d’indien justifiait son nom en partie : elle était réellement petite. A chaque croisement de camion, on frisait la catastrophe : c’étaient des duels de klaxons, des échanges de jurons et d’insultes. La rue de la Petite-Inde longeait les murs en briques grises du campus, esquissait une pente douce, bordée de petits commerces : une épicerie, une pâtisserie, la mercerie des sœurs Zhang, un tailleur, une pharmacie traidtionnelle qui dégageait une odeur anisée d’écorce, d’herbes desséchées, de cannelle et de musc. »

… et aujourd’hui. Contraste.

La lumière de la ville, si particulière en fin d’après-midi, n’était plus la même, l’odeur non plus, la circulation était cent fois plus dense. La physionomie des automobilistes et des passants me paraissait elle aussi métamorphosée. Leurs vêtements étaient plus colorés, leurs visages plus sombres et plus tendus. Néanmoins, je reconnus tout de même Pékin à un détail : le chauffeur de taxi, que l’embouteillage rendait nerveux, baissa sa vitre, se racla la gorge, cracha fort vers l’extérieur, et suivit d’un regard empli d’orgueil le parabole de son crachat, qu atterrit au beau milieu de la chaussée, sans qu’il songeât à s’en excuser le moins du monde. »

Par une nuit où la lune ne s'est pas levée




Par une nuit où la lune ne s'est pas lévée, Dai Sijie, Gallimard, 307 pages, 18 euros.