Un rêve, c'est d'abord une histoire. Celle du narrateur, qui chaque jour ou presque, parcourt inlassablement le boulevard périphérique pour rejoindre la chambre d'hôpital de Paule, sa belle sœur, qui souffre d'un cancer. Au gré de ses trajets, de ses visites et de ses réflexions, lui reviennent des souvenirs de la guerre.

Il se souvient de Stéphane, un résistant, capable d'escalader comme un lézard les parois rocheuses les plus escarpées, de commettre ses attentats et de fuir comme s'il s'envolait.

Stéphane jouait avec l'alpinisme et les attentats. Il pouvait jouer seul au milieu des grands fauves nazis car il ne possédait rien, ni maison, ni biens, ni célébrité. »

A la fin de la guerre, le narrateur perd Stéphane de vue. Plus tard, il apprend que son ami a été retrouvé mort dans un lac, sans que les circonstances de son décès soient élucidées. Quelques années plus tard, Shadow, un nazi détenu invite le narrateur à la prison et entreprend de lui raconter comment il a rencontré Stéphane, comment il l'a capturé, et comment son ami a quitté ce monde.

Shadow est l'antithèse de Stéphane. Au lieu de s 'alléger dans la souplesse de ses actes, il s'alourdit par la cruauté et la fréquence de ses crimes. La vision du Résistant lui est dès lors insupportable.

Je ne haïssais pas Stéphane, mais quelque chose en moi le haïssait. Pourquoi ? A cause de la haine de ce qui s'appesantit pour ce qui s'allège. L'un déborde, se vide, devient de l'air, de la lumière, atteint peut-être le vide nécessaire au dieu. L'autre se durcit, s'alourdit, concentre de la matière dense, de la connaissance toujours plus opaque. »

Habilement, Henry Bauchau alterne le récit du duel entre Shadow et Stéphane, à l'intensité croissante, avec l'inexorable avancée du cancer de Paule.

Au gré des rebondissements, l'auteur, de 93 ans, nous fait profiter de sa sagesse, sur l'amour...

Finalement, l'amour est une lumière, une chaleur, c'est aussi un nœud, un nœud coulant : ne va pas trop vite, ne va pas trop loin, sinon ça va serrer. »

... ou sur le courage.

Pas le courage, on dit cela. Comme si on avait le courage, comme si on le possédait alors qu'il naît quand on a plus le choix, plus d'autre recours. »

En définitive, « Boulevard périphérique » est un roman difficile. Derrière une narration bien menée, qui le rend lisible jusqu'au bout, se cache une palette de symboles raffinés. Shadow contre Stéphane, par exemple, ce n'est pas le bien contre le mal, c'est plus subtil, car l'auteur ne juge pas, n'accorde pas explicitement plus de valeur à l'un qu'à l'autre. Il entend simplement décrire deux manières de finir, l'une en s'allégeant, l'autre en s'enfonçant.

Ces symboles font la force du roman, mais aussi sa faiblesse. L'auteur les multiplie à l'envi sans qu'il y ait toujours de lien entre eux, ni de rapport avec le récit. L'ouvrage a donc parfois les allures de ces rêves que l'ont sent importants, mais qu'on ne parvient pas tout à fait à élucider...

Boulevard périphérique



Boulevard périphérique, Henry Bauchau, Actes Sud, 255 pages, 19,50 euros.