Dans « Battements d'aile », Milena Agus nous offre un petit roman poétique, hors du temps, subversif, faussement naïf et hilarant ! Oui, tout cela en même temps.

La narratrice, une jeune fille de 14 ans, conte le destin de sa famille et de deux autres maisonnées plantées sur une colline de Sardaigne, au bord de la mer.

Ici, le ciel est transparent, la mer couleur saphir et lapis-lazuli, les falaises de granit or et argent, la végétation riche d'odeurs. Sur la colline, dans les lopins de terre arrachés au maquis, qu'on cultive entre leurs murets de pierre sèche, le printemps resplendit du blanc des fleurs d'amandiers, l'été du rouge des tomates et l'hiver de l'éclat des citrons »

Dans la plus belle maison, vit Madame. Une personne controversée, car sa demeure bouche l'accès à la mer. Elle pourrait la vendre, et cesser de vivre dans le dénuement, mais elle refuse obstinément, au grand dam des voisins, qui, eux, n'ont pas d'état d'âme.

Madame ne comprend pas que des personnes pieuses et bonnes, qui avant de manger prient pour rendre grâce à Dieu de leur repas, ne le remercient pas aussi pour ce morceau de paradis terrestre et qu'elles soient favorables à la construction de cubes en béton avec jardinets à l'anglaise, reliés par des routes carrossables, et tout ça pour de l'argent. Comme si on ne devait pas préserver l'oeuvre du Seigneur même quand cela ne nous arrange pas. »

Heureusement, Madame est soutenue dans son combat par le grand-père de la narratrice, qui vit à côté de chez elle.

Grand père dit que Madame est « l'homme nouveau », l'unique type humain qui pourra survivre à la catastrophe actuelle car elle sait distinguer entre les babioles et ce qui compte dans a vie. Madame doit défendre cet endroit. Et elle le défendra sans violence. Avec sa détermination courtoise. Parce que c'est l'arme du futur. Et le futur, c'est Madame. »

Dans le hameau, la vie s'écoule donc au fil des querelles. Outre la maison de Madame, et celle de la jeune narratrice, une troisième maison coule des jours agités. Car l'aîné de cette famille s'en est allé jouer de la trompette à Paris, ce qui déplaît fortement à ses parents, au point qu'ils n'en n'ont soufflé mot à la grand-mère. Le cadet de cette famille bien comme il faut, Pietrino, s'est lui, construit un radeau, et vogue occasionnellement, en cachette, jusqu'à l'île de Serpentara, en face.

Je pourrais vous citer tout le livre, car chaque phrase est une dégustation. L'intelligence de l'auteur, c'est d'avoir adapté son style d'écriture à la simplicité de ses personnages. Mais cette naïveté est trompeuse, elle est juste un voile très doux pour mettre en scène et dénoncer une société progressivement contaminée par l'argent, mais encore enserrée dans des codes rigides sur le mariage, l'argent, et la sexualité convenable. Heureusement, sur ce plan-là aussi, Madame n'est pas traditionnelle !

Je vous souhaite de lire ce roman qui dénonce avec le sourire, et non la violence ou l'apitoiement, comme c'est trop souvent le cas dans la littérature récente !

Battement d'ailes



Battement d'ailes, Milena Agus, traduit de l'italien par Dominique Vitroz, éditions Liana Levi, 155 pages, 15 euros.





Du même auteur : Mal de pierres