J’avais décidé de toiser « No et moi », de Delphine de Vigan. Car pour moi, l’histoire d’une ado qui sympathise avec une SDF devait couler et coller aux doigts comme le miel à travers la tartine.

Lou a 13 ans, « bientôt quatorze ». Au lycée, cette élève surdouée choisit pour thème de son exposé « La situation des sans-abris ». Cette idée lui est venue à la gare d’Austerlitz, où elle prend plaisir à regarder les gens. C’est là que Nolwenn, 18 ans, SDF, No pour les intimes, a demandé du feu à Lou. Les deux filles ont sympathisé. Puis se sont séparées. No est restée sur le quai. Lou est rentrée au chaud.

Je me suis retournée pour lui faire un petit signe de la main, elle est restée là, à me regarder partir, ça m’a fait de la peine parce qu’il suffisait de voir son regard, comme il était vide, pour savoir qu’elle n’avait personne pour l’attendre, pas de maison, pas d’ordinateur, et peut-être nulle part où aller. »

Allez savoir pourquoi, cette phrase m'a retourné. A cause du « pas d’ordinateur ». Cette vérité enfantine m’a fait un croche-pied.

Lou va réussir brillamment son exposé, et les deux filles vont devenir amies. Car il y a des choses de la vie qui sont l’horrible norme mais que Lou n’accepte pas.

Moi je m’en fous pas mal qu’il y ait plusieurs mondes et qu’il faille rester dans le sien. Je ne veux pas que mon monde soit un sous-ensemble A qui ne possède aucune intersection avec d’autres, que mon monde soit une patate étanche tracée sur une ardoise, un ensemble vide. »

Lou va donc héberger No dans son monde, jusque dans sa maison.

Il y a des moments amusants, comme l’instant où Lou tombe amoureuse.

Panique à Disneyland, alerte rouge, mobilisation générale, affolement biologique, court-circuit, carambolage interne, révolution sidérale. »

Et des moments de grâce.

J’ignore laquelle de nous deux soutenait l’autre, laquelle était la plus
fragile. »

« No et moi » est un roman juste. Si l’on excepte l’artifice un peu osé qui consiste à rendre Lou surdouée pour la faire raisonner comme une adulte, et à part quelques discrètes invraisemblances, Delphine de Vigan s’est glissée avec tendresse, talent, intelligence et finesse dans la peau d’une ado. Bien écrit, ce petit roman de la révolte évite miraculeusement la facilité et la morale à prix cassé.

Ce livre m’a convaincu et ému comme le ferait un enfant qui vous met à court d’arguments, rien qu’avec sa logique de dessin animé.

Du même auteur : Rien ne s'oppose à la nuit

No et moi



No et moi, de Delphine De Vigan, JC Lattès, 287 pages, 14 euros. Vous pouvez le commander sur Amazon.