L’ennui est inhérent à la stratégie narratrice de l’auteur. Il entend nous conter l’histoire d’une famille londonienne d'après-guerre ordinaire, qui, à force de se cogner à la vie, donne à son destin une tournure extraordinaire. Et hilarante.

Arthur Coyle est un bon père de famille. Il règne en maître paternaliste sur son épouse, Gillian, sur Annette, son aînée, et sur l’adorable petit Clifford, étonné chaque jour par ce que la vie lui réserve.

Malgré le profond amour qui l’unit aux siens, mais qu’il ne parvient pas à exprimer, Arthur boit. Joue. Et va aux filles. Gillian ferme les yeux, malgré les tentatives de délation de Mrs Farlow, la commère bien pensante du voisinage.

Avec une lenteur presque sadique, Connolly nous montre la déchéance d’Arthur, qui ne parvient plus à financer ses vices et n’aura d’autre issue que de quitter ce monde, dans des circonstances que je vous laisse découvrir.

La famille ne s’en remettra pas. Annette violente ses petites copines, et Clifford assiste, médusé à la descente aux enfers de sa sœur tant aimée. Envoyée en Irlande, dans un couvent de rééducation, celle-ci subira des sévices sexuels sur lesquels Connolly s’attarde avec le même humour sadique, mais fin comme une cravache.

Annette la rebelle, Annette la vengeresse, Annette l’adulte précoce, revient ensuite en la douce Angleterre, achète des filles, et investit la niche du sado-masochisme, où elle se sent tellement bien. Sa mère oublie son passé de tarte éplorée et devient plus perfide encore que son aînée, dont elle dope le sordide commerce, sous les yeux médusés de Clifford.

Je vous encourage à découvrir la suite. Vous allez rentrer dans un monde affreux, mais d’une extrême finesse sentimentale. L’humour de Conolly vous permettra de lire les pires horreurs en vous esclaffant !

L’écriture est belle, aussi, car ces événements sont racontés successivement par les quatre membres de la famille. Ils se passent le crachoir subrepticement, ce qui donne du rythme au récit. Pour ajouter encore un peu de piment, les mots forts sont écrits en italique. Cela fonctionne très bien, surtout quand les enfants s’expriment, comme ici, où Annette parle de ses débuts à l’école catholique.

A l’école, on n’a même pas le droit de dire quoi que ce soit, parce que Dieu est toujours en train de regarder et d’écouter, comme on le sait depuis le catéchisme. « Qui t’a créée ? Dieu m’a créée. Pourquoi Dieu t’a-t-Il créée ? Dieu m’a créée pour L’aimer et Le vénérer. » Enfin vous connaissez. Il y en a comme ça tout un gros livre, mais l’idée, en gros, c’est de ne prendre aucun risque par ce que lui ne prend jamais de vacances, jamais, toujours là à regarder et à écouter – même le dimanche alors qu’en principe on n’a pas le droit. Ce qui est quand même bizarre – mais je suppose qu’Il peut se permettre de ne pas suivre le règlement, puisque, le jour du Seigneur, c’est Lui qui l’a créé n’est-ce pas ? »

Voilà, et il y en a comme ça tout un gros livre !

L'amour est une chose étrange



L'amour est une chose étrange, Joseph Connolly, littérature anglaise, Flammarion, 457 pages, 19,90 euros. Notre note : 4/5.